Glengarry Glen Ross : Percuté par un chef d'oeuvre au Centre Segal
Scène

Glengarry Glen Ross : Percuté par un chef d’oeuvre au Centre Segal

Les occasions de voir en anglais, joué par une distribution hors pair, le chef d’œuvre américain Glengarry Glen Ross, de David Mamet, ne sont pas si fréquentes. Le metteur en scène Paul Flicker en propose ces jours-ci une version sans fausses notes.

Avec American Buffalo, Glengarry Glen Ross est la pièce dans laquelle Mamet a affiné le plus ce qu’il est convenu d’appeler le «mametspeak», une forme dialogique extrêmement précise, dans laquelle chaque réplique et chaque pause est d’une importance calculée. Rivalités, interruptions brutales, répétitions, vulgarités et répliques assassines prolifèrent dans les pièces de l’auteur américain; Mamet prend un malin plaisir à explorer les rapports de force des relations humaines. Il construit des dialogues acérés qui répondent à une logique quasi-guerrière et traduisent le besoin de dominer l’autre. Il faut pour porter cette parole rythmée une distribution étoilée. Mission accomplie au Segal: Graham Cuthbertson, Daniel Lillford, Michel Perron, R.H. Thomson et Brett Watson sont d’une redoutable précision.

Court mais intense, le chef d’œuvre réaliste écrit en 1982 montre les manifestations de compétitions féroces entre agents immobiliers se disputant une Cadillac offerte au meilleur vendeur. La pièce expose aussi la manière dont les hommes se laissent dominer par un système capitaliste qui les dépasse, dans une Amérique sous l’emprise des politiques de droite de Ronald Reagan. Le vocabulaire du marché s’infiltre ainsi insidieusement dans les conversations des personnages de Glengarry Glen Ross. Chaque réplique est un moyen pour les protagonistes d’exercer un contrôle sur la pensée de l’autre, en l’impliquant dans une construction verbale hachurée, construite à deux par tâtonnements, mais dans laquelle se dessinent clairement un dominant et un dominé. Dans cette joute, les comédiens dirigés de main ferme par Paul Flicker sont particulièrement brillants, faisant preuve d’une écoute remarquable et jouant parfaitement au même diapason. La mise en scène ne cherche pas à réinventer la situation dramatique et respecte le texte à la lettre – on ne peut d’ailleurs pas faire autrement avec du Mamet. Les décors hyperréalistes, qui ne négligent aucuns détails, contribuent également à la réussite du spectacle.

Aucune certitude dans les relations entre les personnages: les revirements de situation déplacent constamment les liens qui les unissent et suscitent méfiance, doute, craintes, ambiguités. Ce sont des êtres discontinus, qui s’expriment par un discours syncopé, suspendu, interrompu, lequel exige des acteurs une grande rigueur. Dans Glengarry Glen Ross abondent aussi les insultes, le mépris, les jurons et les familiarités: une autre manière pour les personnages d’exercer une autorité sur les autres. Le racisme joue le même rôle: quand ils se moquent de leurs clients indiens, les agents immobiliers assurent leur supériorité sociale mais dominent aussi leurs collègues qui ont osé faire des affaires avec cette «race de merde».

Bref, il fait bon d’être à nouveau percuté par cet immense texte, qui, en plus d’être brillant, est hyper-divertissant.