Audrée Southière / T'en souviens-tu Pauline? : Une parole en héritage
Scène

Audrée Southière / T’en souviens-tu Pauline? : Une parole en héritage

Pauline Julien, la chanteuse mais surtout la femme engagée, peut-elle servir d’inspiration à une nouvelle génération en quête d’affirmation collective? Oui, répond la comédienne Audrée Southière, qui lui consacre le spectacle T’en souviens-tu Pauline?

Il y a quelques années, Audrée Southière s’est mise à écouter en boucle la chanson Un gars pour moi de Pauline Julien. Étonnée de son intérêt soudain pour une chanson francophone qui contrastait drastiquement avec la plupart de ses goûts musicaux, elle a fouillé davantage l’œuvre de la chanteuse populaire pour y découvrir son répertoire plus engagé et s’y reconnaître puissamment. Elle a alors senti le besoin de créer un spectacle de théâtre «pour explorer plus profondément comment résonne la parole de Pauline Julien dans le Québec de 2014».

Y aurait-il, chez les artistes de la génération Y, un mouvement de plus en plus marqué par la redécouverte des figures engagées de l’époque préréférendaire? La démarche d’Audrée Southière et de la metteure en scène Mathilde Addy-Laird arrive tout de suite après les films documentaires de Simon Beaulieu sur Godin et Miron. Comme lui, elles osent un nouveau regard sur l’œuvre d’une légende québécoise, en la soumettant plus ou moins frontalement à leur perception du Québec d’aujourd’hui.

«On a voulu, dit-elle, tisser des parallèles entre l’époque de contestation sociale dans laquelle baignait Pauline Julien et le Québec actuel, du moins celui du printemps érable de 2012, où quelque chose semble s’être réveillé et où on a eu le sentiment que le changement était possible.»

Audrée Southière s’ennuie de la fougue avec laquelle Pauline Julien prenait parole dans l’espace public. Personne, dans la communauté artistique actuelle, ne lui semble apte à jouer ce rôle. «Il y a des artistes engagés, mais je ne vois personne qui prend vraiment possession d’un espace de parole politique, qui accapare une partie de l’espace public alloué aux politiciens, avec un discours authentique. On ne peut pas laisser le PQ défendre seul l’indépendance; il n’est plus l’ombre de lui-même.»

Derrière ce regard vers le passé scintillent de grandes promesses. Pauline Julien éveille chez Audrée Southière la possibilité de croire que la collectivité a encore un sens, et aussi que le féminisme n’est pas mort. «Au Théâtre Acharnée, on a toujours revendiqué un féminisme arrimé à celui des générations qui nous ont précédés. Je n’ai pas peur de m’identifier à la lutte des femmes québécoises des années 1960, qui me semble correspondre encore parfaitement à notre société.»

Dans une perspective interdisciplinaire, en croisant le chant, la parole et la vidéo, Southière et sa bande auscultent notre rapport trouble à la mémoire. «La vidéo, dans le spectacle, est inspirée de l’aphasie dégénérative dont Pauline Julien a souffert à la fin de sa vie, à travers un travail d’animation qui évoque la perte de la mémoire. Cette aphasie devient une métaphore d’un Québec qui aurait perdu son héritage, perdu l’usage de la parole. C’est aussi une métaphore du legs de Pauline Julien qui s’est effrité. On s’est aussi intéressés au rapport entre Pauline et sa mère: c’est une autre manière de s’interroger sur l’héritage et la transmission.»