Raphaël à Ti-Jean : Gestion du patrimoine et autres familiarités
Scène

Raphaël à Ti-Jean : Gestion du patrimoine et autres familiarités

La Licorne accueille de la visite du Bic avec Raphael à Ti-Jean, de Cédric Landry, dans une mise en scène d’Eudore Belzile (Théâtre les gens d’en bas). Du théâtre réaliste, parfois trop télévisuel, mais une structure dramatique efficace pour portraiturer les dysfonctions familiales et les défis de la vie contemporaine en région.

Téléromanesque, conventionnelle et dénuée de grandes idées de mise en scène, cette pièce est tout de même un touchant portrait d’un fief de pêcheurs où la modernité passe et avale tout, laissant de nombreux résidents en plan. Peu prêts  à encaisser les coups, cette communauté fait face à l’exil mais aussi et surtout à l’oisiveté de ses résidents et à leur conversion en vendeurs de drogue pour contrer un revenu dérisoire. Un univers dans lequel l’alcool cheap coule également à flots.

Cédric Landry, un auteur madelinois érigeant doucement une trilogie sur l’effritement des liens familiaux (avant Raphaël à Ti-Jean, il y a eu Pierre-Luc à Isaac à Jos), ne réinvente évidemment pas l’écriture dramatique avec cette série montrant des personnages attachants et des paysages ruraux souvent boudés par le théâtre contemporain québécois. De la pièce émane un parfum suranné, qui rappelle d’ailleurs un peu l’œuvre de Jean-Rock Gaudrault, en bénéficiant toutefois de dialogues mieux ciselés et de personnages moins caricaturaux que le couple vieillissant d’Une maison face au nord. On pourra aussi y reconnaître une certaine parenté avec Michel-Marc Bouchard dans Les muses orphelines (surtout l’atmosphère rurale et l’ambiance tendue de huis-clos familial, même si les enjeux identitaires ne sont pas de même nature). C’est un théâtre en tous points semblables à celui qu’on faisait au Québec dans les années 1980. On peut s’en réjouir (c’était une période faste pour les drames intimiste) ou s’en indigner (car c’est formellement très convenu). Je me situe quelque part entre les deux

Ceci dit, à l’exception de la scène d’exposition, où les problèmes de drogue et les souvenirs traumatiques d’agression sexuelle se racontent de manière un peu artificielle et précipitée, on ne peut pas nier que Landry a une réelle habileté de construction dramatique, une intelligence du texte qui rend cette histoire crédible parce que portée par des dialogues efficaces, dont le réalisme est patiemment travaillé. Et la pièce s’articule autour de nombreux effets de surprise, dans une architecture dramatique plutôt solide.

Explosive réunion familiale après la mort de la matriarche, la pièce réunit Sylvain (excellent Hubert Proulx), Raphaël (Yves Bélanger) et Isabelle (Catherine Allard) dans la maison de leur enfance. Il faudra décider si la maison doit être vendue à fort prix à des touristes (option chère à Sylvain qui veut régler ses dettes de drogue) ou gardée pour abriter Isabelle si jamais elle décide de revenir dans la région (option favorite de Raphaël, le bon bougre de la famille mais le plus férocement conservateur). Or, Isabelle, exilée en Asie, ne compte pas se réinstaller dans sa région natale. Mais sa présence discrète et rassurante sera bénéfique et bienveillante quand cette histoire de gestion du patrimoine familial se transformera en une histoire de fraternité autour de Sylvain et de ses ennuis avec la pègre locale.

Touchante, cette complicité entre deux frères et une sœur que tout semble éloigner est un matériau dramatique fertile. De même que l’est la question du rapport au territoire, aux traditions et aux valeurs familiales dans un monde postmoderne qui ne fait pas grand cas de ces enjeux. Si Cédric Landry ne jette pas d’éclairage neuf sur ce sujet un peu éculé, il sait camper précisément la situation et donner envie d’y réfléchir.