Festival du Jamais Lu : La conquête du territoire
La francophonie en feu au Jamais Lu

Festival du Jamais Lu : La conquête du territoire

Festif, engagé et porté par un souci du renouvellement des formes dramatiques, le Festival du Jamais Lu s’internationalise tout en ancrant sa parole dans le territoire québécois.

Le Jamais Lu a le sens de l’engagement, il a la parole fiévreuse, mais il a aussi le sens du party. C’est pour ça qu’on l’aime. Il fallait voir, au dévoilement de la programmation, la codirectrice artistique de cette édition, Véronique Côté, en faire l’apologie avec son habituel enthousiasme. «Je suis folle du Jamais Lu, de sa liberté, de sa fougue, de sa révolte, de sa sincérité, de sa rage, de ses emportements, de sa franchise, de sa démesure et surtout de son rapport direct au monde, au présent, à ce qui nous fait et nous défait comme société.»

Marcelle Dubois, à ses côtés, ne la fait pas mentir lorsqu’elle prend parole pour raconter son souci d’inscrire davantage le Jamais Lu dans la francophonie. Cette année, cette intention se matérialise dans la soirée d’ouverture intitulée La francophonie est en feu, rassemblant 15 auteurs originaires du Québec, du reste du Canada, de la France, de la Suisse, de la Belgique, mais aussi de territoires francophones que nos scènes boudent trop souvent: le Congo, les Caraïbes, les Comores, le Burkina Faso. «Quelque chose a éclaté quand j’ai été invitée à Limoges aux Francophonies en Limousin l’an dernier pour orchestrer une soirée de manifestes, explique-t-elle. J’ai eu une épiphanie. Tout à coup, il y avait une possibilité de croiser mon regard sur la francophonie avec d’autres discours, peut-être des attitudes moins survivantes mais d’appartenance à une vision plus large du fait français.»

Le mot pays veut-il encore dire quelque chose à l’heure où les frontières tombent? Quel sens revêt aujourd’hui la francophonie? Ce sont deux des questions qui seront abordées lors de cette soirée qui offrira une courtepointe de paroles engagées et de réflexions. De quoi faire écho à la plupart des textes sélectionnés pour être mis en lecture pendant le festival: des écritures qui s’éloignent de la ville pour décortiquer notre rapport à des territoires plus vastes et à des imaginaires fuyant le réalisme.

«La plupart des textes de cette édition, explique Véronique Côté, sont plantés dans la brousse. En sortant de la ville, les auteurs en profitent pour faire exploser la langue. Y’a des choses qu’on a pas vues depuis très longtemps, du réalisme magique par exemple, dans Crow bar de Gabriel Robichaud. Le texte de Steve Gagnon aussi (Fendre les lacs, je suis loup rivière non je me souviens plus) qui frôle avec le monstrueux, et la pièce d’André Gélineau qui touche carrément au mythique. C’est comme si le territoire de la parole s’étend en même temps qu’il se plante dans de nouveaux territoires. Les textes portent une théâtralité rugueuse, qui tire ses racines dans nos terres d’infini. On est loin de la référence télévisuelle, plutôt dans des décors faits de nature sauvage, de magie, de désir d’absolu.»

Steve Gagnon, connu pour ses univers intimistes et passionnels, change de lunettes d’approche dans son nouveau texte qui présente une galerie de personnages se révélant à eux-mêmes au contact des autres habitants de leur petite communauté. «J’ai écrit ce texte-là quand j’ai passé du temps dans une maison de campagne, où je me sentais dans une pièce de Tchekhov, dans un rapport au temps complètement différent. La petite communauté que j’ai inventée, qui vit autour d’un lac, rassemble des gens qui sont à un tournant de leur vie, dans une sorte de passage à l’âge adulte, dans une volonté de devenir enfin quelqu’un.»

Le Sherbookois André Gélineau, qui a toujours campé ses intrigues dans la ruralité, imagine pour sa part dans Raconter le feu aux forêts les rapports troubles qu’entretiennent des villageois avec un homme-chien qui, dit-il, «permet de dévoiler le rapport que l’homme entretient avec ce qui le dépasse: la force de la nature, l’inconnu, l’irrationnel. Ils seront confrontés à de grandes vérités sur eux-mêmes, mais aussi plongés dans une certaine mythologie. Cette histoire d’homme-chien évoque Anubis, le dieu funèbre dans l’Égypte ancienne».

Dans Pâtisserie française de France, les comédiens Richard Thériault, Isabelle Leblanc, Isabelle Roy et Jocelyn Lagarrigue élargissent le regard pour observer les rapports à la fois amoureux et conflictuels entre la France et le Québec. Nourris par une démarche documentaire et aussi par leur expérience de tournée en France avec Wajdi Mouawad, ils constatent les blessures vives entre le Québec et sa mère patrie. «On a voulu parler de ce qui nous réunit, dit Richard Thériault, mais aussi de ce qui nous sépare. L’idée est de décortiquer nos liens avec ce pays-là, qui sont brûlants et remplis de paradoxes.»

Également au programme: des textes de Julie-Anne Ranger-Beauregard, Félix Beaulieu-Duchesneau, Annie Ranger et Séverine Fontaine (France).

Du 2 au 9 mai 2014 Aux Écuries

jamaislu.com