S'amouracher / Entrevue avec Estelle Clareton : Réhabiliter le câlin
Scène

S’amouracher / Entrevue avec Estelle Clareton : Réhabiliter le câlin

L’amour est démodé dans le discours ambiant, se désole la chorégraphe Estelle Clareton. Il est pourtant encore fiévreusement recherché par l’humanité. Dans S’amouracher, elle propose une danse de l’amour et de la quête de l’autre.  

«Tout le monde parle continuellement de sexe et c’est devenu tabou et kitsch de croire à l’amour, dit Estelle Clareton. Pourtant, dans ma vie et celle des gens qui m’entourent, le désir d’amour, la quête d’une relation vraie et durable, sont encore fondamentaux. J’ai décidé de faire sans me censurer une pièce sentimentale, au risque d’avoir l’air fleur bleue et dépassée.»

Elle a relu Roméo et Juliette, pour y trouver des mots et des états évoquant l’amour passionnel, furieux, sans limites. Puis elle s’est tournée vers Roland Barthes et ses incoutournables Fragments d’un discours amoureux, pour un regard plus cérébral sur l’amour et ses impétueux mouvements. Nourrie de ces lectures, Estelle Clareton a conçu un spectacle qui oscille constamment entre une gestuelle sanguine et des mouvements réfléchis.

«La difficulté, à notre époque, est de rester ensemble, même si se rencontrer est aussi un défi, explique Estelle Clareton. Je le dis comme ça sous forme de généralités, mais c’est en réfléchissant à ça que la pièce s’est élaborée, pour finir par représenter, de différentes manières, les tentatives d’être avec l’autre qui trop souvent échouent. La chorégraphie essaie d’évoquer le désir de rencontre, les allers-retours de l’autre vers soi et de soi vers l’autre, d’abord dans l’urgence puis dans la distance, dans le recul, dans une certaine objectivité. Je pars de questionnements très personnels, que j’essaie de tordre, de dénouer, de retourner dans tous les sens.»

Travaillant avec deux danseurs, Esther Rousseau-Morin et Brice Noeser, et deux acteurs, Christophe Rapin et Louiza Bentoumi, la chorégraphe invite à un double spectacle, tissant un  dialogue entre deux scènes simultanées, séparées par une toile semi-transparente.

«J’ai travaillé de façon séparée avec les deux couples, avant de les mettre ensemble. Je les considère pourtant vraiment comme un quatuor, car ils sont en profonde interrelation dans un travail scénique de grande précision. Les danseurs bougent de manière plus organique, les comédiens de façon plus quotidienne, mais tout est très interdépendant et je trouve que cette structure permet une narrativité particulière, des rythmiques spatiales nouvelles. Le spectacle fonctionne par vagues, s’articule par moments selon un rythme cardiaque syncopé. Ça permet à chacun de ces couples d’évoquer une infinité de relations.»

Graduellement, le spectacle se déplace du côté d’une certaine douceur, quittant le pessimisme pour retrouver la foi dans un amour pur. Les corps sont d’abord tendus, offrant leur bouche à qui mieux-mieux pour être embrassées mais souffrant que leurs mains soient occupées à autre chose (comme embarrassées). «Tout part de la bouche et des mains dans une relation charnelle», dit Clareton. Puis, ces images traduisant la «complexité de la rencontre avec l’autre» seront graduellement contaminées par des gestes plus délicats et plus attentionnés.

«Les relations amoureuses se vivent aujourd’hui dans la violence. On est devenus des grands consommateurs de l’autre, et puis après utilisation on jette tout simplement; on ne recycle même pas. On se quitte par courriel – c’est dune grande dureté. Je veux donc revenir à une certaine naïveté, en quelque sorte réhabiliter le câlin.»