Michel Nadeau / Angoisse cosmique ou le jour où Brad Pitt fut atteint de paranoïa : Dans l’attente du Messie
Le réchauffement climatique nous inquiète, mais il nous immerge surtout dans le vertige et l’impuissance. C’est en partie ce que la cinglante pièce de Christian Lollike, Angoisse cosmique ou le jour où Brad Pitt fut atteint de paranoïa, raconte dans une forme éclatée et ironique.
Créée à Québec en 2012 au Carrefour international de théâtre, cette mise en scène de Michel Nadeau s’appuie sur un texte d’un auteur danois fort méconnu dans le monde francophone, mais qui est l’une des figures importantes – et dérangeantes – de la scène théâtrale de Copenhague. Là-bas, il dirige le Caféteatret, petit théâtre d’avant-garde où il présente entre autres ses propres pièces, proposant un théâtre très politique qui offre un regard décalé, grinçant, sur l’actualité. Il a écrit sur les attentats terroristes du 11 septembre (Chef-d’œuvre: de l’art, de la foi et du terrorisme) et a créé tout un émoi en mettant intégralement en scène le manifeste du tueur norvégien Anders Breivik.
C’est d’ailleurs en lisant Chef-d’œuvre que Michel Nadeau a commencé à se passionner pour son écriture. «Christian Lollike a un bagage d’études philosophiques et ça lui permet de traiter d’épineux sujets de société, notamment le suicide assisté, avec beaucoup de nuances. Mais je dois dire que c’est la forme postdramatique tout à fait jouissive de ses textes qui m’interpelle le plus. Il est toujours quelque part aux frontières du théâtre-récit et du théâtre de voix, faisant des allers-retours entre la fiction assumée et la distanciation. C’est passionnant.»
Dans leur appartement confortable et épuré – un intérieur bobo hypercontemporain –, trois colocataires hyperconscientisés (Claude Breton, Emmanuel Bédard et Hugues Frenette) cherchent des moyens d’agir pour contrer «l’éco-calypse». Il n’y a que Brad Pitt, pensent-ils, qui peut devenir le Messie contemporain venu conscientiser la planète à l’urgence d’agir. Perruques et lunettes fumées enfilées, ils jouent les stars d’Hollywood en quête d’engagement, lancés dans un projet de long métrage à saveur environnementale et révolutionnaire. S’amusant à caricaturer l’industrie du cinéma américain et les discours pompeux des environnementalistes, ils finiront toujours par se débarrasser de leurs costumes pour retomber dans le néant et l’impuissance.
«Il y a des trous dans la structure dramatique, précise Michel Nadeau, dans lesquels on a inséré des séquences vidéo, la plupart du temps documentaires. La pièce s’amuse à flirter avec différents points de vue sur les problèmes du climat, et j’ai voulu profiter de ces brèches dans le texte pour documenter ces différentes perspectives, en montrant la surabondance d’informations qui nourrit l’angoisse, le scepticisme et l’inquiétude de ces personnages qui s’abreuvent à des sources parfois contradictoires.»
Ainsi, on verra sur écran des extraits du documentaire d’Al Gore, Une vérité qui dérange, et des entrevues avec Hubert Reeves ou avec le philosophe Luc Ferry, que le spectateur est invité à mettre en parallèle avec la quête engagée mais aussi ludique des décapants personnages imaginés par Christian Lollike. Le spectacle propose ainsi, en plus d’une réflexion sur l’environnement, un regard sur une société saturée d’images et de documents interreliés, dans laquelle l’action réelle est trop facilement abandonnée au profit d’une consultation effrénée, mais passive d’informations. À travers ce tissage émergeront aussi des tonnes de questions: quelle info est la vraie? Que faire de tout ça? Comment agir pour éviter l’inévitable?
«Ce que j’aime particulièrement, dit Michel Nadeau, c’est aussi que la pièce ne néglige pas le point de vue des climato-sceptiques. En fouillant, j’ai moi-même mis mes préjugés à l’épreuve et constaté que plusieurs climato-sceptiques ont un point de vue très documenté. Ils sont loin d’être les conspirationnistes qu’on imagine trop souvent, et j’ai notamment été très intéressé par le discours de ceux qui évoquent la théorie sur les cycles du soleil pour défendre leur scepticisme. On peut bien dire que les climato-sceptiques défendent cette position seulement parce qu’ils ont du pétrole à vendre, mais le même argument s’applique aux environnementalistes qui veulent vendre des éoliennes.»
Avec ironie, «pour favoriser une distance réflexive sans tomber dans la lourdeur», le spectacle se présente comme une invitation à continuer à chercher collectivement des pistes de solution aux problèmes du réchauffement climatique.