Scratch : Sébastien David dans l'adolescence éternelle
Scène

Scratch : Sébastien David dans l’adolescence éternelle

Dans Scratch, de l’Ontarienne Charlotte Corbeil-Coleman, le metteur en scène Sébastien David donne à voir la rébellion d’une adolescente en deuil à qui on veut imposer un rituel qui ne lui sied guère. Entrevue au sujet de cette fable sur le passage à l’âge adulte.

VOIR: Vous avez eu un coup de cœur formel pour les différents niveaux de narration et pour la manière dont ce texte renouvèle le réalisme. Qu’en est-il?

Sébastien David: En fait c’est une pièce vraiment simple, mais il est vrai qu’elle est innovatrice à certains égards. Charlotte a une écriture d’une efficacité redoutable. Sa pièce est divisée en 47 scènes, et chaque scène est rigoureusement justifiable dans la progression dramatique: c’est une manière très anglo-saxonne de concevoir l’écriture, alors que nous francophones sommes souvent davantage préoccupés par la poésie du dire. Elle joue avec les degrés de réalisme, en passant souvent de la narration aux scènes dialoguées, dans un enchevêtrement très stimulant. La tension dramatique est construite par ellipses.

VOIR: En quoi le personnage principal, une adolescente qui vient de perdre sa mère mais refuse de l’admettre, vous-a-t-il à ce point soufflé?

Sébastien David: Ce n’est pas un théâtre qui décoiffe, et c’est sans doute mon projet le plus sobre, mais ce sont des personnages extraordinaires. Charlotte a écrit ça quand elle était très jeune, puis elle a retravaillé pendant des années. Ce que j’aime c’est qu’il y a une certaine candeur chez ce personnage, dans lequel on reconnaît la toute-puissance du geste d’écriture adolescent, mais auquel s’ajoute le regard adulte plus distancié. Ça donne quelque chose d’assez fascinant.

VOIR: Charlotte refuse en quelque sorte de passer à l’âge adulte. Pourquoi cette révolte?

Sébastien David: Elle a une incapacité à dealer avec l’immatériel, la mort,la métaphysique. Mais surtout, elle se rebelle contre les rituels très socialement construits que son entourage lui impose pour affronter le deuil. C’est une anticonformiste, elle se bat  contre le convenu. Chaque personnage dans la pièce a son propre rapport au deuil et, à vrai dire, aucun d’entre eux ne sait s’adapter aux rituels conformistes, mais elle est la seule à exprimer frontalement son inadéquation. C’est écrit avec beaucoup de justesse, beaucoup de véracité. Et surtout, Charlotte propose l’art, l’imaginaire et la poésie comme moyen de traverser l’épreuve. Cette idée traverse le texte de plusieurs façons, notamment par l’arrivée du personnage du poète à la moitié de la pièce, qui débarque avec sa méthode expérimentale de guérison du cancer et qui fait un peu basculer la pièce, permettant une sublimation de la maladie.

VOIR: Votre mise en scène s’appuie d’ailleurs un peu sur cet aspect de l’œuvre, en proposant notamment une scénographie plus abstraite et symbolique que réaliste?

Sébastien David: Avec le scénographe Patrice Charbonneau-Brunelle, on a imaginé un décor faite de lignes et de trajectoires. C’est un univers inspiré de l’œuvre de Monika Gryzmala, qui travaille dans des espaces muséaux immenses avec du ruban adhésif. Elle fait des bricolages démesurés qui créent des lignes de tension très fortes. J’aimais bien cette idée parce qu’elle représente un peu les parents hippies bricoleurs de la jeune fille, comme elle évoque ses cheveux emmêlés (le personnage a des poux), ou le bordel de l’adolescence et de ses trajectoires accidentées, ou encore les cellules cancéreuses qui envahissent l’espace. C’est un espace porteur d’une grande signification.