FTA / Todo el cielo sobre la tierra / Angelica Liddell : L'ange exterminateur
Festival TransAmériques 2014

FTA / Todo el cielo sobre la tierra / Angelica Liddell : L’ange exterminateur

La fascinante et dérangeante Madrilène Angélica Liddell fait son entrée en Amérique du Nord par la porte du FTA avec l’œuvre multidisciplinaire Todo el cielo sobre la tierra (el síndrome de Wendy). Un conte halluciné écrit à l’encre corrosive d’un monde intérieur perturbé et des pans les plus durs de la réalité.

Poète maudite et performeuse d’exception, Angélica Liddell est un vrai phénomène. Auteure, metteure en scène, actrice et scénographe, elle conçoit presque de A à Z des spectacles où se fondent théâtre, danse, performance, musique et image, et où se mêlent fiction, réalité intime et histoire collective. Dans Tout le ciel au-dessus de la terre (le syndrome de Wendy), elle extirpe du conte de Peter Pan une Wendy vieillissante, en quête d’amour et en proie à une irrépressible peur de l’abandon. Et elle transpose le Pays imaginaire de Neverland sur l’île d’Utoya où un terroriste d’extrême droite massacra 69 jeunes Norvégiens en 2011 avant de catapulter l’action à Shanghai.  

«Mes œuvres sont des chapitres de la même histoire, elles dépendent de ce qui m’arrive, des rencontres inattendues, de ce qui me fascine, me passionne, m’obsède, explique-t-elle. Ici, c’est la perte de la jeunesse.» Établissant un lien entre le refus de grandir de Peter Pan, les victimes de la tuerie qui ne vieilliront pas et sa propre terreur de la décrépitude, elle articule son œuvre en trois parties, passant du personnage de Wendy à un bal où un couple de valseurs chinois incarne l’âge d’or pour finir dans un long monologue où elle crache sa haine de la famille, de la collectivité et surtout de la mère. 

Fille d’un militaire franquiste et d’une «déficiente mentale», Liddell déclare sans ambages que «la source de tous les maux est le vagin de ma mère», avouant son inaptitude à la joie, son profond dégoût de l’humanité et le malaise insoutenable que lui procure le contact social – elle mène d’ailleurs l’entrevue par courriel. Elle a baptisé sa compagnie Atra Bilis (bile noire) et navigue sans cesse sur les flots de la rage et de l’«inconsolation».

«Je pars toujours du Je, qui est la seule chose qui existe», écrit-elle pour expliquer son processus de création. «Je m’exprime pour ne pas mourir. Je n’ai pas besoin d’imaginer. J’ai juste besoin d’organiser mes journaux intimes, mes expériences, ce qui se passe autour de moi. Au départ, les mots m’aident à survivre à la violence du réel et de ma vie intérieure. Parfois, ils deviennent un récit, parce que j’ai besoin de raconter des histoires sur scène. Ensuite vient le chaos. Un chaos absolu dans lequel j’accorde une grande importance au hasard, à l’inexplicable, et que j’organise à travers les corps, les costumes et la scénographie. J’ai une idée picturale de la composition de l’espace scénique. Je ne cherche pas. Je compose. Je vais au musée du Prado et je regarde des tableaux. Fra Angelico m’accompagne.»

Nourrie à la Bible dans une Espagne ultra catholique, elle use de ce beau livre pour trouver son propre sens du sacré et pour construire des hérésies, selon ses mots. Carburant aux obsessions qu’elle purge dans des trilogies, elle clôt avec Todo el cielo… une série influencée par la Chine. Elle est conduite, sur le fond, par la quête d’amour dans un ailleurs potentiellement meilleur et «dans la forme, par des chorégraphies très subtiles qui tressent le sens des trois pièces avec des fils invisibles comme des livres». Une œuvre protéiforme et multicouche qui, dit-on, agresse autant qu’elle berce et laisse le public sans voix. Toute une expérience.

Présenté dans le cadre du FTA (fta.qc.ca)