L’invention de l’humanité
Antoine Defoort et Halory Goerger, jeunes Français maintenant basés à Bruxelles font un théâtre intelligent, décalé et hilarant, reconstruisant le monde avec des moyens low-tech. Entrevue au sujet de Germinal.
Les fidèles spectateurs du Festival TransAmériques (FTA) n’ont pas oublié Antoine Defoort et Halory Goerger. Issu des arts plastiques et de la littérature, le duo travaille le théâtre à partir d’un endroit poreux où, comme le dit Antoine Defoort, «il y a déhiérarchisation complète des matériaux artistiques à notre disposition. On fait un travail d’écriture de plateau très large et très organique. Ce qui est arrivé très vite dans le processus de création de Germinal, c’est l’idée d’un spectacle autogène, qui se construit de rien, une sorte d’allégorie de la construction d’une civilisation à travers les outils du spectacle.»
Non, le titre du spectacle ne fait pas référence au roman canonique de Zola. C’est plutôt l’idée du germe, du début de toute chose, ou de l’embryon de l’humanité, qui a motivé les troupes de l’Amicale de production à choisir ce titre hautement connoté. Car lorsqu’ils débarquent sur la scène vide, d’abord en silence, et qu’ils observent les lieux en se demandant ce qu’ils pourraient y faire, les quatre interprètes se lancent dans une aventure de découverte et de classification des objets qui les entourent qui a tout l’air d’une métaphore de la construction du monde. Une genèse, une cosmologie, une fresque. Mais de manière pince-sans-rire, avec une étonnante candeur.
«Au départ, raconte Defoort, on voulait travailler sur une échelle plus vaste, représenter des montagnes, des paysages, et couvrir de nombreuses époques. On a dû restreindre un peu notre champ de vision, on s’est rendu compte que c’était plus cohérent si on restait à l’échelle 1, en restant dans le temps de la représentation et dans l’espace de la représentation, à travers donc une métaphore du monde du spectacle que l’on s’est mis à voir comme emblématique de la création du monde.»
Souvent perçu comme une allégorie du fonctionnement du langage et de la communication, le spectacle épuise toutes les possibilités d’un simple micro et d’une petite console d’éclairage, installant dans l’hilarité générale un étrange processus communicationnel. «Mais notre but ultime, précise Defoort en citant une réplique du spectacle, est d’établir une succession d’événements répondant à des critères de densité notamment spatiale et temporelle, c’est-à-dire faire tout simplement un spectacle. Je pense que ce processus tout simple nous a permis d’écrire l’histoire de la communauté, de comprendre les mécanismes à travers lesquels se créent des groupes, les processus par lesquels s’articule le vivre-ensemble. On voit aussi à certains moments que ça peut créer des zones de tension, mais en gros nous sommes des optimistes et les mécanismes de communication humaine nous paraissent généralement aptes à favoriser une certaine harmonie.»
Defoort ajoute même qu’il se considère comme «une sorte de hippie». Pas question de faire un spectacle sur les conflits humains ou la trahison. «Ces enjeux-là sont largement surreprésentés dans la fiction, alors que la réalité, c’est que 95% de l’activité humaine est une activité empathique.»
Ça explique aussi pourquoi le spectacle est générateur d’un haut niveau de joie et d’hilarité. «La blague est un procédé qui nous convient bien, à condition qu’elle ne soit pas gratuite. On essaie de trouver un équilibre entre, d’un côté, la désinvolture, l’humour et la candeur et de l’autre, l’intellect, la rigueur de pensée, la logique et la rationalité.»
Mission accomplie. Et ces deux-là, faut continuer à les surveiller. Le FTA présente aussi leur installation philosophique Les Thermes, une piscine de balles dans laquelle vous êtes invités à plonger pour discuter philosophie stoïcienne avec les autres passants. Mais parfois Defoort et Goerger travaillent séparément, et le premier présente à Paris ces jours-ci Un faible degré d’originalité, un solo qui interroge le concept de propriété intellectuelle. Dommage qu’on rate ça.
NOUVELLES REPRÉSENTATIONS MONTRÉALAISES :
Du 3 au 6 février 2016 à l’Usine C
Du 29 mai au 1er juin à la Maison Théâtre, dans le cadre du Festival TransAmériques (FTA)
Du 4 au 6 juin au Théâtre de la Bordée, dans le cadre du Carrefour de théâtre de Québec