FTA / Trajal Harrell : Antigone au voguing ball
Festival TransAmériques 2014

FTA / Trajal Harrell : Antigone au voguing ball

Revenant aux sources de la danse contemporaine et du voguing, qui à New York sont apparus à peu près au même moment dans un mouvement de rupture avec la danse moderne, l’atypique danseur et chorégraphe Trajal Harrell redessine Antigone. Discussion

Le voguing, cette danse urbaine née dans les clubs gays new-yorkais et popularisée par Madonna avec la mythique chanson Vogue, a perdu de son lustre aux États-Unis au fil des ans. Voilà qu’elle réapparaît sur la scène contemporaine grâce à Trajal Harrell et sa bande, qui cartonnent aux États-Unis comme en Europe. Sans en reproduire carrément les mouvements statufiés et les poses déhanchées, le danseur au physique androgyne cherche à en retrouver l’état d’esprit. «J’essaie ainsi de repenser l’histoire, dit-il, à travers un imaginaire débordant, et par extension cela me permet de repenser le présent.»

L’an dernier au FTA, le spectacle Mimosa permettait de savourer quelques bribes de sa folle esthétique. Mais cette pièce surtout portée par le danseur français François Chaignaud n’en montrait pas la pleine mesure. Qu’à cela ne tienne, Antigone Sr joue avec la forme d’un «voguing ball» en s’amusant avec les codes de la compétition commentée par un animateur à la répartie certaine. C’est un spectacle foisonnant, «qui mêle tout», comme le dit Trajall Harrell, et dans lequel il a mis «tout ce qu'[il] sait faire». Il y aura du texte, de la chanson, du mouvement, du spoken word, de la mode. Tout.

«La chorégraphie, qui parfois se joue de la notion de genre, dit-il, et qui puise dans le langage de la mode, peut évoquer au spectateur les enjeux d’identité sexuelle, ou poser des questions sur l’identité contemporaine, très fluctuante. Ça fait intrinsèquement partie du spectacle parce que ça m’habite profondément, mais je pense qu’il y a encore davantage que la notion d’identité dans cette danse, ou en tout cas une perspective plus large, qui convoque plusieurs identités: mâles, femelles, appartenances à la culture noire, blanche ou autre, et ainsi de suite, de manière infinie.»

Et il y aura pourtant, à travers tout ça, une forte narrativité. Antigone représente pour Trajal Harrell une figure féminine puissante, peut-être la première femme qui a véritablement pu s’exprimer et être entendue dans la Cité. Il veut raconter son histoire en la confrontant, dans toute sa splendeur, aux figures masculines qui la répriment. «J’ai eu envie de faire une tragédie grecque comme c’était fait à l’origine. Enfin, j’ai essayé d’imaginer, à partir de ma propre sensibilité, ce à quoi ça pouvait ressembler. On sait maintenant qu’en Grèce antique, la tragédie était une forme festive, très ritualisée, très communautaire. De là vient l’idée d’en faire une sorte de célébration voguing, avec seulement des hommes sur scène dans les rôles d’hommes et dans les rôles de femmes, parce que c’était ainsi sur le proscénium grec et que, d’ailleurs, l’homosexualité et les codifications trop strictes du genre et de la sexualité n’existaient pas dans cette société. Je trouve que ça ouvre un champ de possibilités, un espace imaginaire fertile, qui nous permet d’envisager la culture occidentale sous un nouveau jour.» 

Cette Antigone fantasmée est aussi le point de départ d’une réflexion sur la démocratie. «Pour moi, dit Trajal Harrell, Antigone a été écrite pour faire réfléchir les citoyens d’Athènes à la possibilité qu’une femme soit considérée comme une véritable citoyenne. Sophocle utilisait la scène comme un outil politique réel, et j’articule mon spectacle comme une réflexion sur la loi, bien sûr, mais surtout sur les limites de la démocratie naissante. C’était possible sur scène seulement parce qu’Antigone était jouée par un homme – elle était l’une des rares femmes dans une fiction qui avait le pouvoir de parole.»

Au FTA, il faudra également surveiller Paraiso-Colecçao Privada, le spectacle de Marlene Monteiro, une proche collaboratrice de Harrell, dont le travail est tout aussi foisonnant.

Les 2,3,4 juin à l’Usine C dans le cadre du Festival TransAmériques (FTA)