FTA / Le NoShow : Autopsie d'un théâtre pauvre
Festival TransAmériques 2014

FTA / Le NoShow : Autopsie d’un théâtre pauvre

Prenant la forme d’une assemblée générale annuelle qui dérape vers le spectacle documentaire et l’autofiction, le NoShow détruit le mythe de l’artiste grassement subventionné et questionne la valeur de l’art en interagissant avec les spectateurs. Intelligente manière de commencer le festival TransAmériques.

Le FTA devait s’ouvrir sur Helen Lawrence, le seul spectacle du Canada anglais dans la programmation. Œuvre protéiforme de Stan Douglas, mêlant cinéma et théâtre de manière semble-t-il prodigieuse, la pièce a été annulée à cause d’un conflit syndical. Ironie du sort, le NoShow s’ouvre sur une prétendue «grève tournante» des acteurs, lesquels refusent de travailler sans être payés le salaire minimum (ce qui est déjà trop peu) et invitent les spectateurs à choisir lesquels parmi eux pourront performer et lesquels quitteront la scène. Car le montant d’argent amassé ce soir-là à la billetterie n’est pas suffisant pour payer les 7 comédiens réunis par le metteur en scène Alexandre Fecteau.

Au préalable, le spectateur aura été invité à payer le montant de son choix pour sa place, de 0 à 123$. Combien vaut un spectacle de théâtre? Au NoShow, c’est vous qui décidez. Mais vos choix seront lourds de conséquences. Une fois les dépenses soustraites du montant total, et après avoir passé le chapeau dans une salle assaillie par la culpabilité, seulement 4 des 7 comédiens ont pu jouer le spectacle hier soir. On a retrouvé les 3 autres sur vidéo et pu les observer manifester dans la rue avec pancartes et crécelles. Faut-il que les acteurs fassent la grève et bloquent des ponts pour que leur art soit enfin reconnu à sa juste valeur? La question est posée avec fracas.

Les comédiens Anne-Marie Côté, Julien Stravini, Frédérique Bradet et Hubert Lemire au moment du paiement des billets du spectacle
Les comédiens Anne-Marie Côté, Julien Storini, Frédérique Bradet et Hubert Lemire au moment du paiement des billets du spectacle

 

Disposés derrière une longue table, les comédiens nous invitent à leur assemblée générale annuelle, où les points à l’ordre du jour s’enchaînent et vont rapidement permettre des numéros d’acteurs qui fraient autant avec la prise de parole engagée qu’avec la confession intimiste. Dictant l’ordre des numéros, mettant en relief de manière ludique et structurante le fait que les artistes soient de plus en plus forcés de jouer aux administrateurs, la formule est efficace, bien que redondante et rapidement épuisée. On y réaffirme les idées, désormais bien connues, que les projets artistiques souffrent de l’obsession de l’administration et de la rentabilité, ou que l’art cède doucement la place au travail comptable.

Au coeur de la pièce se trouve ainsi la question de la répartition de l’argent dans une production, dont la troupe fait une démonstration éloquente, montrant les besoins criants de financement, dénonçant l’absurdité de croire que les revenus de billetterie ou revenus autonomes puissent pallier au sous-financement, et décortiquant les imposantes et inévitables dépenses non reliées àla création. Le soir de la première, 229 spectateurs ont déboursé au total 4 299$, une moyenne de 18,77$ par personne. Mais une fois soustraits les investissements, les frais de voyage, le salaire des techniciens, les frais de billetterie, il n’est resté que 640$ pour payer les acteurs. C’est ce qu’on appelle le choc de la réalité.

Peu subventionnés, les compagnies DuBunker et Nous sommes ici doivent rivaliser d’inventivité et de travail bénévole pour arriver à leurs fins. Sans enfoncer indéfiniment le clou du sous-financement par l’état, la troupe soulignera l’hypocrisie d’une société dans laquelle tout le monde ferme les yeux devant les gracieuses subventions accordées aux multinationales et s’indigne des minuscules subsides accordés aux artistes. Pourquoi le théâtre subit à ce point les foudres du peuple alors que l’argent qu’on lui accorde est minime et que les conditions dans lesquelles il se construit sont pitoyables? La question demeurera sans réponse.

Le NoShow est aussi une forme d’autofiction interactive: les acteurs puisent dans leur vécu, se dévoilent, se posant comme les personnalités emblématiques d’une situation économique insoutenable. Le spectacle tisse son propos à partir de tranches de vie, de réflexions très personnelles, d’observations parfois amusées parfois viscérales. Dans ce jeu, où le plaisir du spectateur est de démêler la réalité de la fiction et de faire des parallèles avec sa propre perception du milieu artistique, parfois les trémolos sont trop appuyés, rendant par moments le spectacle un peu plaignard (ce que la troupe disait vouloir éviter). C’est néanmoins une excellente manière d’ancrer le propos dans le réel et de donner un visage aux statistiques Et soyons honnêtes, les angles de traitement, souvent ludiques et décalés, font la plupart du temps de ce spectacle une affaire festive et communicative. Car vaut mieux en rire que d’en pleurer.

Les anecdotes demeurent par contre assez lisses. On se doute que la situation réelle de plusieurs de ces artistes est en réalité plus dérangeante que ce qu’on nous laisse voir: or l’autofiction ne crée pas l’effet escompté lorsqu’elle est ainsi édulcorée. Sans trop dépasser les limites du bon goût dans l’exposition de soi, le spectacle ne réussit trop souvent qu’à réaffirmer des vérités déjà amplement connues, sans trouver de nouvel angle pour les aborder. Le propos n’en est pas moins nécessaire, essentiel, mais par moments il aurait gagné à être présenté sous de nouveaux angles ou de manière plus radicale. Puisque la situation des acteurs est trop souvent calamiteuse, il n’aurait pas été inopportun que le spectacle le soit aussi et qu’il déjoue un peu les convenances, histoire de porter le flambeau de manière plus saisissante, plus crue, plus radicale. La situation le commande.

On aura tout de même compris la précarité de l’artiste et le manque de considération pour l’art à travers des numéros très variés: plaidoyer pour l’intermittence du spectacle selon le modèle français par le comédien Julien Storini; auditions dégradantes évoquées dans un numéro de Francesca Barcenas; boulots complémentaires pas toujours politiquement corrects avec Hubert Lemire et développement de public à travers une performance de François Bernier d’après la pièce L’Affiche de Philippe Ducros.

Également teinté d’improvisations, le spectacle est différent chaque soir, selon les acteurs choisis par le public et les montants amassés à la billetterie.

La pièce se termine par une guerre de guimauves en plein air, près du campement dans lequel les comédiens dorment (dans des tentes)
La pièce se termine par une guerre de guimauves en plein air, près du campement dans lequel les comédiens dorment (dans des tentes)