FTA / Snakeskins : Cordes sensibles
Benoît Lachambre interroge le rapport contemporain au monde dans Snakeskins, un « faux solo» visionnaire qui vous fera vivre un trip à l’acide 100% organique.
Pour Benoît Lachambre, l’espace constitue un corps au sein duquel des flux énergétiques relient le chorégraphe au public et à l’univers. On retrouve ces connexions dans la scénographie fascinante de Snakeskins, œuvre créée à l’Usine C en octobre 2012. Un immense chapiteau, d’où s’étendent une soixantaine de cordes en point de fuite et auquel s’accroche Lachambre, vêtu d’un exosquelette; une image de la photographe Christine Rose Divito, évoquant les points de rencontre et de tension entre premiers peuples et peuples contemporains.
Dans ce paysage très structuré, Lachambre livre une performance épidermique et partiellement improvisée, basée sur le travail des sens et des sensations. Une performance qu’on ressent principalement dans ses pores de peau et ses cellules nerveuses. Entre autres, le chorégraphe s’est inspiré des oscillations du serpent d’eau pour nourrir son travail de corps, transformant l’air en une sorte de liquide amniotique. Tour à tour arachnéenne, aérienne et sautillante, sa gestuelle emprunte aussi au mouvement de créatures non-reptiliennes. Féru d’approches somatiques, Lachambre fait aussi appel à l’imaginaire et à sa mythologie personnelle, passant à travers une série de transmutations spectaculaires: samouraï des temps modernes, cowboy de rodéo, catcheur, Poséidon dieu de la mer…. Un kaléidoscope de symboles et d’identités, permettant à Lachambre de changer de peau, de lâcher littéralement prise en abandonnant des enveloppes devenues inutiles, de se renouveler. Parfois, il retombe dans ses travers, comme dans ces moments où il invective un itinérant – très drôles et brisant un peu le charme, comme un fait voulu par le chorégraphe – avant de reprendre son cheminement de transformation.
Composée et jouée sur scène par Hahn Rowe, la trame sonore joue un rôle essentiel dans cet itinéraire initiatique. Inclassable et remarquable, faisant appel à la guitare, au violon, au clavier, aux tôles d’aluminium et à d’autres objets musicaux non identifiés, la musique contribue à l’atmosphère de cérémonie au temps suspendu de Snakeskins.
Le chorégraphe est également accompagné par le danseur et chorégraphe Daniel Albanese. En retrait, le visage caché par un masque vert de lutteur, celui-ci assiste Lachambre et manipule des objets, déplaçant et démontant entre autres la photo de Christine Rose Divito. On le verra davantage au moment de la très belle fin, qui n’en est pas une: dans un éternel recommencement, Lachambre salue, puis se remet à danser avec Albanese, sublime interprète dont la gestuelle fluide évoque un liquide inconnu. L’envers du décor se découvre peu à peu, Lachambre et Albanese s’éloignent mais continuent à se mouvoir, dans un souffle inextinguible, repoussant toujours l’extinction finale.
Récompensé pour l’ensemble de son œuvre par le Grand Prix de la Danse Montréal 2013, Benoît Lachambre donne à vivre dans Snakeskins un dialogue entre les personnes, leurs corps et le monde qui nous entoure, mettant à mal l’idée contemporaine d’une maîtrise de l’esprit sur le corps et l’univers. Ainsi, Lachambre crée sans faire de concessions et dialogue avec son public sans filet de sécurité. Et à voir Snakeskins, une pièce née d’un travail de recherche exigeant mais accessible à tous, il fait bien.