FTA / Solitudes solo : L’exigeante danse de Daniel Léveillé
Si les corps de ses danseurs sont maintenant vêtus de sous-vêtements, la danse de Daniel Léveillé emprunte dans son plus récent spectacle Solitudes solo les mêmes passionnants chemins que jadis. La chorégraphie embrasse l’individualité dans une éblouissante exigence physique.
Les spectateurs de danse ont suivi, depuis Amour, acide et noix, le travail de ce chorégraphe exigeant qui jette sur le corps humain un éclairage précis, dévoilant comme nul autre ne sait le faire le mouvement de la chair et la tension du muscle au travail. Comme dans La pudeur des icebergs et Le crépuscule des océans, Léveillé offre une danse très formaliste qui se déguste en tant que tel, sans que l’œil ne soit tenté d’y chercher trop de discours ou que la tête ne s’embarrasse de trop de couches de signification ou de narrativité. Ce sont des corps qui entrent en choc avec l’espace, à travers des sauts et des replis sur soi, dans une grande tension entre l’aérien et l’attrait du sol. On peut certes y lire le désir d’élévation de l’âme humaine, qui est constamment mis en péril par le réel qui l’entoure. Mais ce serait sans doute un peu réducteur: la gestuelle tangue entre ciel et terre mais s’enchaîne de manière bien plus complexe que selon les trop simples principes du manichéisme. De la position recroquevillée, les danseurs évoluent jusqu’à l’ouverture totale du corps, comme soudainement happé par la vastitude de l’espace et les infinies possibilités des articulations humaines.
Sauts, roulades, dos arc-boutés puis culbutés ou projetés dans l’éther, dans une certaine soudaineté, composent cette chorégraphie exigeante qui plonge rapidement les corps dans une sueur ruisselante. La virtuosité des danseurs captive, surtout dans les moments de suspension, qui permettent un arrêt sur images et la possibilité de contempler longuement le muscle en action. Un privilège.
Se croisant doucement entre leurs segments solo, les danseurs Esther Gaudette, Gaëtan Viau, Emmanuel Proulx, Justin Gionet et Mathieu Campeau habitent la plupart du temps seuls l’espace scénique. Seuls au monde ou seuls maîtres à bord de leur propre navire: le spectacle offre une exploration de l’individualité humaine sans s’embarrasser de jugements, sans teinter le regard d’une quelconque charge. On y décèle surtout la grandeur de l’humain et une vision du corps à son meilleur, même dans les moments de fragilité.
Fidèle à sa signature, Léveillé propose un mélange de figures arrondies, fluides, et de mouvements brutaux, dans de saisissants atterrissages au sol. La lenteur générale côtoie quelques brefs instants de précipitation, mais tout est fait dans une admirable fermeté. Il y a ici et là des emprunts au ballet, merveilleusement arrimés à la musique de Jean-Sébastien Bach.
On se demande toutefois encore, au moment d’écrire ces lignes, ce que vient faire là la chanson Over the Rainbow / What a Wonderful World, d’Israel kamakawiwo’ole, qui accompagne le solo final de Gaëtan Viau.
Le spectacle est présenté à nouveau ce soir, lundi 26 mai, au Théâtre Prospéro, dans le cadre du Festival TransAmériques