Etienne Saglio, Stéphane Ricordel et Stéphane Fillion : La France circassienne est en ville
La France occupe le haut de l’affiche cette année à Montréal Complètement Cirque et s’amène avec son lot de réinventions. Regards sur les démarches de la compagnie Lapsus (Six pieds sur terre), de la compagnie Le Monfort (Acrobates) et de l’incontournable Etienne Saglio (Le soir des monstres).
De l’espoir d’un monde meilleur
Stéphane Fillion et ses comparses de la compagnie Lapsus se connaissent presque depuis toujours. Au cœur de leur travail, la notion d’amitié et de collectif a toujours précédé, dit-il, «la notion de propos». Monocyclistes, jongleurs, acrobates au sol ou trio de portées acrobatiques: ils mélangent joyeusement les genres et les disciplines. Six pieds sur terre est un spectacle post-apocalyptique ludique où ils partent d’une scène vide pour construire un monde nouveau et provoquer un réenchantement du monde.
«On suppose qu’on se trouve à l’issue d’un conflit, dit le jongleur, mais sans avoir le désir de le nommer ou de développer le thème de la guerre, pour plutôt se demander ce qui peut émerger du vide à partir de l’enthousiasme et de la cohésion d’un groupe. Il s’agit de réinventer un espace de jeu, de plaisir et de liberté. C’est un spectacle porteur d’espoir et d’optimisme, dans lequel on fait aussi l’apologie de la construction, en érigeant un nouveau monde à partir de quelques éléments scénographiques.»
Inévitablement, en exposant le groupe dans une tension entre la collectivité et les individus qui la composent, le spectacle explore les mécanismes de l’interaction humaine et du vivre-ensemble. «On ne veut pas que ce soit homogène, précise Fillion, on veut aussi montrer les failles et les faiblesses qui peuvent exister au sein d’un collectif. C’est une entité en tant que telle, avec une identité, mais on oublie jamais que c’est constitué d’individus qui ont leur singularité et qui, en exprimant leur individualité, vont nuancer beaucoup le portrait d’ensemble.»
À la reconquête du plateau
Amitié il y eut, amitié il y aura. Dans Acrobates comme dans Six pieds sur terre, la camaraderie a précédé le geste de création. «On est une équipe très soudée, explique le metteur en scène Stéphane Ricordel, se connaissant depuis très longtemps. C’est un collègue trapéziste qui nous a unis, qui est devenu tétraplégique et qui nous a inspiré ce spectacle.»
Fabrice Champion a perdu l’usage de ses jambes et de ses bras lors d’un accident de trapèze. Olivier Meyroux, un ami, l’a filmé pendant la reconquête de ses jambes, puis sa reconquête du plateau, et la reconquête d’autres moyens d’expression artistique avec son corps endormi. Ce sont en partie ces images qui ont nourri la création d’Acrobates et qui accompagnent les artistes en scène dans ce spectacle interdisciplinaire très onirique et très fluide. «Il a inventé un mouvement corporel tétraplégique, explique Stéphane Ricordel, qu’il a appelé tétra-danse ou tétra-acrobatie. Fabrice est maintenant décédé, et à la suite de son départ, on a eu envie de faire un spectacle pour perpétuer son travail et se demander ce que signifie notre présence sur scène à l’aune de la perte d’un grand artiste dont on tente de suivre les traces. L’image du défunt est donc en tout temps palpable sur scène, qu’elle soit fantomatique ou plus concrète, ou par moments édulcorée.»
C’est un spectacle sur l’amitié, mais c’est également un spectacle sur la transmission et sur la présence en scène. C’est un spectacle acrobatique, mais également une œuvre imagée, totalement interdisciplinaire, où le son occupe une place importante. «Qu’est-ce que c’est que d’être acrobate? Le spectacle pose aussi cette question: on essaie de se demander ce qui est acrobatique en dehors de l’aspect périlleux de la chose.»
Jongleur, mais surtout magicien
Le rideau s’ouvre sur un air de piano. Un jeune homme vêtu de noir apparaît et commence son étrange ballet avec des objets inanimés qu’il arrive à faire prendre vie. Bienvenue chez Etienne Saglio, maître de ce qu’on appelle communément la «magie nouvelle», une discipline illusionniste qui lui permet de flirter tout à la fois avec le merveilleux et l’effroyable et de détourner les lois de la physique par des procédés magiques. Inspiré tant par Tim Burton que par le symbolisme, Saglio est d’abord jongleur et a conservé de cette première discipline un amour de la manipulation des objets. Et il en manipule une grande diversité dans Le soir des monstres. Un serpent fait de tubes s’anime tout seul, des balles à jongler semblent soudainement ralentir et entrer en suspension… Saglio crée des univers magiques dont la portée est avant tout poétique: il ne veut guère que le spectateur s’interroge sur ses trucs; il cherche à provoquer l’enchantement.
Détails au montrealcompletementcirque.com