Fred Dubé / Zoofest : Pas peur d’être intelligent
Doublé pour Fred Dubé au Zoofest: l’humoriste aux monologues politisés et documentés offre Terroriste blanc d’Amérique et L’ignorance fait plus de victimes que le cancer. Quand l’humour penche à gauche.
Certes, il aime parfois faire des blagues scatologiques ou flirter avec le grivois, mais Fred Dubé préfère l’intelligence et ose un humour qui dénonce, informe, interroge. De son phrasé précis et théâtral, il distille références historiques, bibliques ou sociologiques, avant de les détourner ou de les tordre sans ménagement. Son humour fait se côtoyer la poésie et l’anecdote. De son point de vue, le rire peut carrément servir d’outil de politisation de notre société. Rien de moins.
«Il y a une peur d’être intelligent en humour au Québec, se désole-t-il. Les gens de ma génération se tournent vers les États-Unis parce qu’ils ne trouvent pas leur compte dans ce que propose Juste pour rire – les galas sont uniformes et s’adressent à un public très précis. Ça fait penser aux leaders qui disent que les cerveaux doivent être formés pour plaire aux « corporations ». Je suis fatigué de cet humour consensuel qui ne se heurte jamais à de nouveaux sujets et qui fait tout pour n’écorcher personne. Et le pire, c’est qu’on ne peut pas accuser l’industrie: les humoristes se censurent eux-mêmes. L’autocensure au Québec est la plus grande forme de censure qui existe.»
Dubé, lui, dit qu’il essaie de faire des gags «assez irrévérencieux» pour que le Parti libéral le «mette en prison». «Je pense tout de même, dit-il, que le politique ne doit jamais prendre plus de place que la poésie. C’est ce que disait Paul Chamberland et je suis de très près ses enseignements. Mais plus que tout, j’essaie de faire un humour documenté, de dévoiler des informations pour attiser le rire, mais aussi l’indignation.»
Ainsi, dans Terroriste blanc d’Amérique, un spectacle qu’il promène depuis plusieurs mois, Dubé pointe les dérives d’un marché financier déréglé. Écrit dans la foulée du printemps érable et du mouvement Occupy, le spectacle propose de détourner notre regard de l’«Axe du mal» pour se demander si le vrai terrorisme, celui qui appauvrit tout le monde et affaiblit l’Amérique, n’est pas celui des requins de la finance qui n’en finissent plus d’élargir les tentacules du néolibéralisme. «C’est un clin d’œil au livre de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, explique-t-il. On ne parle pas assez dans les médias des dérapages du marché financier et de la pensée de ceux qui y ont consacré leur réflexion. Je m’y suis donc lancé, lisant Noam Chomsky et Simon Tremblay-Pepin, mais aussi La juste part, de David Robichaud et Patrick Turmel, et Propaganda d’Edward Bernays. Et, oui, j’arrive à tirer une matière humoristique de la réflexion que ces lectures m’ont inspirée.»
Pareil dans L’ignorance fait plus de victimes que le cancer, où Dubé interroge les mécanismes d’appauvrissement de la pensée collective et le pouvoir que les politiciens les plus conservateurs se donnent en cultivant l’ignorance de leurs ouailles. «Il s’agit d’abord de parler de ma propre ignorance, mais aussi et surtout de faire le constat que la plus grande arme de nos politiciens, c’est l’ignorance. Radio-Canada sabotée, c’est un outil politique pour encourager l’ignorance. Je fais des parallèles avec le droit de manifester, les dérives policières, l’urbanisme, la dépossession de l’espace public et l’économie. C’est un spectacle qui va dans plusieurs directions.»
C’est aussi un peu la devise de Fred Dubé. «Faut pas avoir peur de piger dans tout.»
Terroriste blanc d’Amérique: du 12 au 16 juillet au Théâtre Ste-Catherine;
L’ignorance fait plus de victimes que le cancer: du 29 juillet au 2 août au Théâtre Ste-Catherine, dans le cadre du Zoofest zoofest.com