Montréal Complètement Cirque / Barbu: foire électro-trad : De la tradition dans la joie et les muscles
Ils sont costauds et barbus comme les mâles d’une époque pas si lointaine où l’homme passait sa vie aux champs. Les artistes-athlètes du Cirque Alfonse puisent dans la tradition québécoise pour y retrouver un sens perdu de la fête. Dans Barbu: foire électro-trad, en ouverture de Montréal Complètement Cirque, ils jouent aux hommes forts et aux forains d’antan.
Au début du siècle dernier, le parc Sohmer dominait ce qu’on appelle aujourd’hui le quartier Centre-Sud, entre les anciennes rues Water et de Salaberry et les rues Notre-Dame et Panet. Là, tous les week-ends se retrouvaient musiciens, hommes forts, jongleurs et cracheurs de feu pour en mettre plein la vue à une foule familiale venue chercher divertissement et autres menus plaisirs, mais surtout convivialité et bonne humeur. Bons vivants, Antoine Carabinier Lépine et ses acolytes du Cirque Alfonse imaginent dans Barbu: foire électro-trad ce à quoi pouvaient ressembler les numéros virtuoses et spectaculaires auxquels applaudissait la foule en liesse. Ils sont heureux de proposer par là un cirque à contre-courant de l’air du temps, éminemment traditionnel, dans la plus pure tradition foraine, loin de toute logique narrative ou de toute construction dramaturgique, et loin également de l’interdisciplinarité qui détermine une grande partie du cirque contemporain. On est trad ou on ne l’est pas! Au Cirque Alfonse, la tradition est une source de joie et d’accomplissement de soi. Qu’il en soit ainsi.
«On voulait, dit Antoine Carabinier Lépine, s’ancrer dans l’état d’esprit très libre et sans complexes du cirque forain québécois d’antan, où les gens venaient spontanément présenter leur numéro; des hommes à tout faire, des jongleurs, des musiciens. Louis Cyr performait de temps en temps. On a voulu revisiter ça, projeter ça dans le réel contemporain, mais rester attachés à la tradition. On est le plus québécois des cirques québécois, et on en est fiers.»
Depuis Timber!, spectacle à succès revisitant la figure du bûcheron sur fond de musique trad et de muscles saillants, le Cirque Alfonse redonne ses lettres de noblesse à un passé trop souvent renié. Dans l’état d’esprit rural et festif qu’ils associent au Québec du début du siècle dernier, ils voient surtout une cohésion sociale indéniable, qui n’a peut-être jamais eu d’équivalent par la suite. «Néanmoins, dit Carabinier Lépine, je pense que l’ambiance du parc Sohmer existe encore aujourd’hui dans des rassemblements comme les dimanches Tam-Tam sur le mont Royal ou au Piknic Electronik. C’est en tout cas cette énergie-là qu’on recherche. Mais aussi une certaine promiscuité entre les spectateurs et nous: on est sur une minuscule scène centrale, le public va voir le muscle au travail, sentir la sueur, et on va sans doute se permettre d’interagir un peu avec les spectateurs. On ne veut absolument pas que ce soit une soirée de cirque entre nous, entre quatre murs.»
À lire aussi: notre critique du spectacle
Parlons-en de ces muscles. Hommes forts à la pilosité manifeste, les acrobates d’Alfonse propagent une image stéréotypée de la masculinité, qu’ils revendiquent tout en sachant l’observer avec ironie. Il y a quelque chose de frondeur dans leur aplomb à mettre de l’avant une imagerie de l’homme fort et puissant, malgré une époque de masculinité en crise et en transformation. «On s’amuse avec les codes de la masculinité, dit Antoine Carabinier Lépine, mais en même temps on déconstruit tout ça et on inclut une part de féminin. Notamment parce qu’il y a des filles dans le spectacle et qu’elles font un superbe numéro de contorsion dans l’argile. Mais aussi parce que les hommes forts dévoilent un pan différent de leur masculinité, peut-être une certaine fragilité du corps, du moins des corps imparfaits, ceux de circassiens bons vivants qui s’adonnent parfois aux excès, pas ceux d’athlètes aux muscles saillants et lisses. On passe d’ailleurs une partie du show en petites bobettes noires plus ou moins viriles. C’est une manière pour nous de proposer un regard un peu détourné sur la puissance masculine.» Il y aura d’ailleurs un numéro de pole dance qui risque de mettre en lumière tout à la fois les versants masculin et féminin du corps.
Autrement, les barbus feront ce qu’ils savent le mieux faire: investir des disciplines de cirque traditionnelles en utilisant des matériaux inusités ou des angles d’approches décalés. «Francis Roberge, par exemple, fait du lancer de baril. C’est une discipline qu’on a en quelque sorte inventée, mais qui respecte les codes du cirque spectaculaire d’antan. C’est pas mal tout le temps ce qu’on faisait dans Timber!: du cirque traditionnel exécuté avec des nouveaux matériaux ou dans un nouvel esprit, mais pas de profonde réinvention, parce que les traditions nous inspirent et qu’elles portent en elles une authenticité qui nous rejoint.»
Du 4 au 12 juillet au Théâtre Telus, dans le cadre de Montréal Complètement Cirque montrealcompletementcirque.com
MISE À JOUR: en reprise à l’Olympia de Montréal du 19 juin au 12 juillet 2015