Cyrano de Bergerac: l’écueil du spectaculaire
Au Québec, on ne produit pas très souvent Cyrano de Bergerac, une pièce vertigineuse avec ses 1600 vers et son personnage principal plus-grand-que-nature. Au TNM, en coproduction avec Juste Pour Rire, Serge Denoncourt tente l’aventure en révélant surtout son flair pour les bons castings, dans une production honnête et exécutée agilement, mais qui se heurte à ses ambitions spectaculaires.
Il faut d’abord souligner la noblesse du projet. Que le TNM et Juste Pour Rire s’allient pour offrir une rare mise en scène de Cyrano au Québec est tout à fait événementiel et digne de quelques sérénades. Ça n’arrive pas souvent, et l’occasion est belle de savourer les vers de Rostand, des sommets de lyrisme mais aussi de répartie incisive. Sa démesure, sa hauteur d’esprit et sa manière subtile de flirter avec la comédie sans amoindrir le drame et la puissance des enjeux passionnels n’ont pas vraiment d’équivalent dans la dramaturgie universelle. Mais je ne vous apprends rien ici.
L’union de ces deux institutions culturelles de premier plan a permis une production sans doute coûteuse (dont j’ignore les détails du budget) mais le théâtre étant ce qu’il est sur cette contrée (c’est-à-dire complètement sous-financé), la somme ne permet pas de rencontrer les ambitions de cette production qui mise beaucoup sur le spectaculaire avec sa distribution enviable de 20 acteurs, ses multiples scènes de groupe, sa représentation pétaradante de la guerre et son décor modulable (Guillaume Lord) qui permet de transiter assez efficacement d’un lieu à l’autre.
Désirant tout montrer de l’œuvre de Rostand et en faire briller autant les passionnantes conversations intimes avec la belle Roxane que les énergiques scènes de cape et d’épée, le metteur en scène a imaginé un dispositif permettant la démesure aérienne autant que la proximité terrestre, mais toujours dans une recherche du spectaculaire, de l’effet et de l’ampleur. Devant un regard qui embrasse si large, on perd de vue les intentions réelles de son travail et, surtout, la magie ne fonctionne pas vraiment dans les scènes collectives, où des acteurs pleins d’entrain, mais en nombre insuffisants, ne suffisent pas à créer l’ambiance de film à gros budget qui semble être ici recherchée. On voit alors trop les ficelles du travail d’orchestrateur de plateau auquel s’est livré le metteur en scène, avec une grande précision certes, mais sans arriver à la parfaite illusion. Il s’en dégage parfois quelque chose d’un peu scolaire. La plupart de ces scènes, d’ailleurs, sont irréprochables en ce qui concerne le jeu physique mais sont jouées dans une grande précipitation vocale et dans une certaine uniformité énonciative, lesquels ne nous laissent pas toujours assez savourer les vers.
Le défi est toutefois grand et j’accuse ici, davantage que l’équipe de la production, un système de financement et de production inadéquat pour les grandes pièces du répertoire, lorsqu’est privilégiée, comme l’a fait Denoncourt, une approche classique qui insiste sur la grandiloquence de la pièce.
Insistons toutefois sur la réussite de la célèbre scène de la tirade du nez, où la parole et le jeu physique s’amalgament de manière très organique pour offrir un inoubliable moment de théâtre.
Les dialogues intimistes, travaillés en profondeur par les acteurs Patrice Robitaille et Magalie Lépine-Blondeau, vont également marquer les mémoires. Toujours dans une approche classique, sans vraiment réinterpréter les vers canoniques, ce charmant duo sait en faire miroiter les possibles. Patrice Robitaille confond les sceptiques en se montrant tout à fait digne de ce grand rôle. Maîtrisant la répartie du personnage tout autant qu’il sait dompter ses tourments d’homme affaibli par sa laideur, il offre une composition très nuancée.
D’une diction toujours claire et assurée, il est un Cyrano preste mais jamais surexcité: une posture apte à représenter la stature de ce personnage noble, cultivé et passionné mais à certains égards retenu et contraint, à l’image de l’amour qu’il cache à sa prétendante en la poussant dans les bras du beau Christian de Neuvillette (Francois-Xavier Dufour est d’ailleurs parfaitement à son aise dans ce rôle de jeune premier, même si la relation entre les deux hommes, qui est fertile en interprétations diverses, n’est pas très approfondie dans cette mise en scène).
En somme, l’inlassable combat de Cyrano pour un amour pur et sans compromis, de même que son grand idéalisme et sa loyauté, auront été magnifiés par cette production qui fait aussi honneur à son verbe légendaire. Mais on y aura moins savouré l’inscription de ses intrigues dans un arrière-plan social, dans des scènes collectives et des scènes de guerre qui n’évitent pas une certaine caricature et ne montrent pas toujours bien l’adversité à laquelle doit se heurter le personnage.
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Cyrano de Bergerac est à l’affiche du Théâtre Nouveau Monde jusqu’au 16 août 2014
C’est étrange l’insistance qu’a l’auteur de cette critique à vouloir absolument comparer la production présente avec le film de JP Rapeneau (fort réussi par ailleurs). Allant jusqu’à prêter à Denoncourt l’intention de faire « cinéma » (sans aucune preuve : « … l’ambiance des films à gros budget qui SEMBLE être ici recherchée »), ignorant qu’avant les adaptations au grand écran, c’est d’abord une pièce à grand déploiement, spectaculaire et populaire, divertissante et romantique, grande aventure de cape et d’épée ( et non pas de cap et d’épée comme un cap, un pic, une péninsule). Confondant sa propre obsession cinématographique (qui SEMBLE être sa seule référence culturelle) avec l’intention théâtrale du metteur en scène, il se met au dessus de tous les spectateurs qui ont porté en triomphe la représentation lors de la Première de lundi dernier. Je n’avais jamais vu un tel élan d’enthousiasme du public lors d’une représentation théâtrale, et je déplore que le critique cherche à rabaisser l’évènement acec ses boîteuses comparaisons cinématographiques, cherchant sans doute à se prouver qu’il est plus intelligent et raffiné que les centaines de personnes criant de joie et d’enthousiasme à cette représentation, ovationnant cette exceptionnelle production, justement miraculeuse en ce qu’elle a réussi à faire avec le peu de moyens que leur accorde le gouvernement. Il est triste d’avoir des critiques qui n’éclairent en rien, sauf leurs fantasmes et obsessions cinématographiques, et qui croient être essentiels dans l’essor du théâtre. Or, quand on n’a rien de vraiment intelligent ni crédible à exprimer, il est bien inutile, voire nuisible de faire fonctionner cet appareil au dessin emprunté au derrière des poules.
Pas d’accord avec cette critique…et son titre. Écueil le mot est fort, or on est loin de l’écueil dans ce spectacle de grand théâtre populaire. En voulant absolument trouver quel que chose qui cloche ce critique perd l’essentiel et s’écarte de ce qui saute aux yeus et aux oreilles dans cette production, la justesse du jeu des comédiens, la maîtrise du texte. C’est spectaculaire en soi avec une telle pièce et c’est loin dé l’écueil.