L’incontestable génie de Fred Dubé
Avec « L’ignorance fait plus de victimes que le cancer », Fred Dubé confirme sa nature exceptionnellement pertinente au sein d’une scène humoristique qui a gravement besoin de lui.
J’appréhendais presque le second spectacle de Fred Dubé au Zoofest, L’ignorance fait plus de victimes que le cancer qui suivait Terroriste Blanc d’Amérique. Comment le jeune humoriste allait-il, le même mois, se surpasser dans sa verve, son indignation lyrique, son érudition savamment saupoudrée de scatophilie et de sexe, bref, dans sa brillante et indéniable intelligence?
Je l’appréhendais presque parce que j’avais surtout hâte: face à cette première rencontre, l’élan initial de l’artiste était clairement dirigé vers des cieux merveilleux et enviables, à moins d’un imprévisible et incohérent accident de parcours. Cet accident n’a pas eu lieu.
À l’arsenal déjà impressionnant de cet homme à la merveilleuse présence scénique se sont ajoutés un second degré fantastique et une écriture aux multiples niveaux qui se permet de présenter subtilement des références poussées sur lesquelles l’humoriste ne met pas d’emphase, comme conscient et confiant de sa richesse lyrique et de la qualité de son écriture, sur laquelle il a probablement travaillé comme un forcené.
Fred Dubé, c’est la manifestation parfaite de l’accomplissement scénique. C’est la raison pour laquelle tout artiste décide de prendre le micro, ou le pinceau, ou la caméra, mais sans compromis carriériste, sans rectitude politique, sans timidité médiatique. C’est le raffinement technique d’un artisan de l’humour capable de discuter pendant plus d’une dizaine de minutes de la répression policière de manifestations politiques en 2012 tout en générant un rire constant dans une salle, et ce, sans jamais compromettre la rigueur de l’information au profit d’idées vagues potentiellement plus rassembleuses.
Présenté avec finesse et intelligence, ce grand artiste citera du Shakespeare en longueur, créera une ambiance solennelle et sublime d’un patriote sur le point d’être pendu avant de scander des slogans absurdes, passera un moment à décrire les différents types de clitoris, parlera du rouleau compresseur d’un capitalisme qui profite de la contestation pour s’enrichir (Louise Richer était d’ailleurs dans la salle, ce soir-là), fera une métaphore cosmique avec une éjaculation simulée dans un mouchoir et décrira méticuleusement la nature perverse du système néo-libéral.
Tout en faisant rire. Du début à la fin.
Je m’étais demandé, après son premier spectacle, si Fred Dubé allait donner un câlin à son ennemi ou bien le tailler en pièces avec un couteau de Rambo. En racontant son voyage au Vietnam et au Cambodge, il explique les conséquences de l’utilisation de l’agent orange par l’armée américaine sur une population civile encore affectée par l’agression depuis. La description détaillée des mutations causées par ces attaques confirme plutôt que Fred Dubé avait passé un temps considérable à polir et aiguiser ses armes.
Le résultat, c’est un spectacle brutalement honnête et intelligent, qui parle à des égaux dans une salle régulièrement impressionnée par les milles prouesses d’un jeune homme exceptionnel et admirable, capable de s’effondrer sur scène et d’avouer à une mère absente qu’il ne veut pas mourir.
Ce jeune homme est à surveiller. C’est une de nos plus brillantes étoiles.
Jusqu’au 2 août au Théâtre Ste-Catherine dans le cadre de Zoofest.