Jean-Philippe Lehoux / Napoléon voyage : Touriste quoi qu’il en soit
Il est touriste, et il s’assume. Dans Napoléon voyage, Jean-Philippe Lehoux se moque de sa prétention de voyageur aventurier en racontant les péripéties insolites de ses séjours en Syrie ou en Bosnie-Herzégovine.
Autodérision et grands enjeux du voyageur contemporain sont au menu de cette pièce de fin d’été, à l’image de l’œuvre entière de Jean-Philippe Lehoux, qui puise dans sa vie de bourlingueur pour en tirer une matière dramatique vertigineuse et un regard éclairé sur la mobilité de l’humain moderne. Mais ici, point de formalisme, au contraire de son récent texte L’écolière de Tokyo (très structuré): Lehoux s’abandonne au surgissement naturel et impromptu des anecdotes. Il a relu les carnets de voyage rédigés çà et là au cours des dix dernières années pour en tirer un quasi-monologue aux prétentions aussi ludiques que lucides (il est accompagné sur scène par un ami musicien qui a parfois le verbe abondant).
«Il y a dans ce texte un grand relâchement formel, explique-t-il. C’est un enchevêtrement de récits qui se répondent, qui rebondissent les uns sur les autres, de manière assez spontanée. Je voulais m’éloigner d’une certaine rigidité structurelle qui a caractérisé mon travail récent et qui, je dois avouer, commence à m’ennuyer. Je veux explorer davantage mon côté ludique et artisanal.»
Au moment où je l’attrape pour une courte conversation téléphonique, il arrive d’un séjour en Chine, où il a cumulé des récits et des observations propices à écrire encore une autre pièce. D’aéroports en aérogares, ses projets d’écriture se multiplient. Or, il est vrai que ce one-man-show, sous-titré Où Napoléon est remplacé par un inconnu qui n’a jamais voulu tuer de Prussiens, est un peu différent de son écriture habituelle. «Je m’inspire toujours de mes voyages, dit-il, mais jamais directement. D’habitude, l’écriture naît d’une impression, de quelque chose qui me dépasse et que j’essaie de capter par les mots. Mais pour Napoléon voyage, rien n’était prémédité. Il n’y avait pas de grand objectif surplombant, juste une envie personnelle d’éplucher mes carnets de voyage et d’en faire quelque chose. Je l’ai présenté à Zone Homa l’an dernier et y’a eu un écho intéressant. On m’a dit qu’une humanité et une fragilité s’en dégageaient, alors j’ai eu le goût de poursuivre.»
N’empêche, Lehoux n’est pas vraiment un touriste comme les autres. En Bosnie-Herzégovine, à peine vingtenaire, portant un t-shirt «dégueulasse» et une «moitié de barbe», il a joué au journaliste de guerre dans une petite ville décimée par le conflit génocidaire. Sans grand succès. «En Bosnie, raconte-t-il, j’ai très sérieusement voulu faire du tourisme de guerre, de manière sincère et naïve, alors que c’était un peu délicat dans les circonstances d’un pays qui aspirait à passer à autre chose. Un touriste, c’est souvent inapproprié même s’il y a dans son comportement une grande tendresse.»
L’auteur dramatique, également comédien et grand improvisateur, revendique pourtant l’étiquette. «Nous sommes tous des touristes, qu’on le veuille ou non, et y’a rien de mal à ça. Ma pièce ironise beaucoup sur nos prétentions à voyager de façon responsable et culturellement alerte. Mais pour moi, le tourisme, c’est légitime. Il y a un regard, une bienveillance naïve, une analyse spontanée que fait le touriste des lieux qu’il visite et des gens qu’il rencontre, et tout cela a une valeur.»
S’armant d’un humour incisif, Lehoux tente de poser de «vraies questions sur le rapport à l’autre et au territoire, sur la solitude omniprésente du voyageur, sur les amitiés qui s’y développent». C’est un spectacle «léger», précise-t-il, mais il le souhaite «traversé d’un humour que l’on qualifiera d’intelligent».
Napoléon voyage est à l’affiche de la Petite Licorne du 25 août au 12 septembre