Entrevue avec Sylvie Drapeau : Opening night Le vrai du faux
Opening night, film emblématique dans l’oeuvre de John Cassavetes, entretient un fertile dialogue avec le théâtre et ses enjeux de vérité et artifices. Mais sur la scène montréalaise, jamais un metteur en scène ne l’avait fait basculer complètement du côté du théâtre. Ce sera chose faite grâce à Eric Jean, avec la comédienne Sylvie Drapeau dans le rôle tenu au cinéma par Gena Rowlands. Elle répond à nos questions.
Grande actrice de théâtre, souvent boudée par la télé et le cinéma, Sylvie Drapeau n’en est pas moins une cinéphile et elle admet avoir vu ce film mythique de John Cassavetes des dizaines de fois. On ne s’en étonne guère, tant les questions qui fracassent le personnage de Myrtle, actrice vieillissante qui refuse d’interpréter un rôle de femme brisée et sans espoir, ont de quoi alimenter la réflexion de toute femme ou homme de scène. Ce n’est pas tant la question de l’âge qui s’avère la plus riche dans ce film qui fut en partie improvisé, que l’enjeu de l’intégrité: jusqu’à quel point une actrice peut-elle se mettre au service d’un propos qui l’indispose et auquel elle n’adhère pas?
Si le métier de comédienne fournit un territoire bouillant pour poser cette grande question de l’authenticité et de l’intégrité de nos actes, elle le dépasse évidemment et flirte avec des enjeux psychologiques et philosophiques de haute voltige: comment rester véritablement fidèle à soi? Myrtle est dans une pronfonde quête de sens, que son métier ne semble plus pouvoir lui permettre.
«Myrtle, explique Sylvie Drapeau, se fait imposer une réflexion sur le vieillissement par l’auteure de la pièce dans laquelle elle joue, mais elle se bat contre l’idée de la vie qui sarrête; elle cherche un espace d’espoir. Je la comprends de pogner les nerfs à cette étape-ci de sa vie: elle n’a plus envie de paraître, elle cherche une pièce moins mièvre. Tant qu’à sexposer, elle veut dire quelque chose, faire jaillir la lumière a partir d’un propos qu’elle veut véritablement défendre, pour qu’il y ait communion. Quand on est jeunes, comme actrice, on se met de la pression pour ne pas déplaire, pour être bonne et encensée, mais en vieillissant, la question du sens devient plus importante, on veut être dans une résonance avec soi et avec le monde.»
Le film, toutefois, pénètre ce territoire de pensée grâce à un travail d’images: gros plans sur le visage dépité de l’actrice ou sur les multiples verres de scotch qu’elle s’enfile après avoir été troublée par la mort d’une jeune groupie à la sortie du théâtre. C’est un film finalement assez économe de mots, qui résiste très fort à l’ampleur du théâtre même s’il se passe en grande partie sur scène et dans les coulisses d’un prestigieux théâtre new yorkais. Il fallait donc se l’approprier, le faire passer à la scène en s’affranchissant le plus possible de l’imagerie du film.
Sylvie Drapeau et Eric Jean, qui s’intéressent depuis le spectacle Chambres à un théâtre qui questionne les frontières entre le vrai et le faux, ont fait pencher le film du côté d’une exploration des mutliples identités qui traversent l’actrice au moment de sa performance: sommes-nous devant Sylvie, devant Gena Rowlands ou devant Myrtle? Ne changeant rien au texte de Cassavetes, ils ont nécessairement travaillé la partition de manière très physique. «C’est davantage un travail de corps que ce que j’avais imaginé, raconte la comédienne. Le film est plutôt statique, il a donc fallu construire une oeuvre théâtrale qui s’en détache beaucoup et qui explore l’idée de la démultiplication des points de parole en moi, tissant des ponts entre le personnage et entre ma personnalité réelle, en créant de la distance entre la réalité et la fiction. On essaie de toucher les gens par une exposition de différentes vérités. Je pense que ça créera un effet très particulier.»
À l’affiche du Quat’sous jusqu ‘au 27 septembre 2014.