Benoît McGinnis / Being at home with Claude : Flirter avec l'indicible
Scène

Benoît McGinnis / Being at home with Claude : Flirter avec l’indicible

Trente ans après sa création, Being at home with Claude est revisité au TNM par Frédéric Blanchette, avec Benoît McGinnis dans le rôle jadis tenu par Lothaire Bluteau. Le comédien nous raconte sa plongée dans une œuvre majeure de la dramaturgie québécoise.

L’anecdote est connue: en 1984, René-Daniel Dubois a écrit cette pièce en quelques jours seulement, porté par une urgence et un moment d’inspiration fulgurant. La chose se ressent dans l’écriture et surtout dans le personnage de prostitué en quête d’un amour pur et passionnel qu’interprétait Lothaire Bluteau à la création de la pièce et que Roy Dupuis a par la suite fait entrer dans l’histoire du cinéma québécois (dans l’adaptation de Jean Beaudin en 1992). On n’a aucun mal à imaginer Benoît McGinnis dans la peau de ce personnage ardent et sans compromis, lui qui a joué récemment Hamlet ou Andy (dans Bob, du même René-Daniel Dubois) en composant à fleur de peau des interprétations puissantes.

«Ce qui me fascine chez René-Daniel, dit McGinnis, c’est son flot, sa façon d’écrire l’amour dans une incroyable intensité verbale. Ça me fait plonger dans des zones où je ne vais pas souvent. Le texte nomme des choses qu’on ne nomme jamais, ou presque, parce que c’est très difficile de mettre le doigt sur des sentiments comme ça, qui sont de l’ordre de l’indicible.» 

Pour l’acteur, le défi est grand. «J’ai en tête l’icône de ce qu’a dû être la performance de Lothaire Bluteau, qu’on a décrite comme ardente et sans demi-mesures. Mais en même temps, il y a des situations concrètes dans la pièce qui demandent plus de retenue. Je l’ai construit vraiment lentement en répétition, pour ne rien plaquer. On voulait éviter que le personnage paraisse fou. Ce qui l’habite surtout, c’est sa volonté de ne pas retomber dans son souvenir, qui lui est trop douloureux, trop intense.»

Dans ce huis clos policier confrontant les voix d’un inspecteur et d’un jeune prostitué qui vient de tuer son amant à coups de couteau, Dubois flirtait avec les vertiges d’un amour plus fort que tout et opposait deux visions du monde avec ces deux personnages aux antipodes l’un de l’autre. «Ce sont deux mondes qui se rencontrent, en effet, et ça montre aussi qu’on est bien paradoxaux comme êtres humains, car à différents moments, le spectateur risque de s’identifier à l’un ou à l’autre. Ce que je trouve également puissant dans ce texte, poursuit l’acteur, c’est la question de la réhabilitation ou de la rédemption. Doit-on pardonner le geste parce qu’il a été fait par amour? C’est une question importante, qui se pose tout le temps dans notre société où le crime continue de fasciner.»

En raison de cette universalité de l’œuvre, la production du TNM ne cherchera pas à décontextualiser le texte ni à en proposer une relecture radicale. «Le Québec n’a pas changé tant que ça, dit Benoît McGinnis, et il y a beaucoup d’éléments de la pièce, comme les rapports avec les journalistes et les magouilles qui se trament en arrière-plan, qui me semblent raconter le Québec d’aujourd’hui. On a donc une approche très classique, mais surtout très pragmatique: on fait un travail de précision dans l’interprétation du texte pour que toutes les couches de sens soient révélées.»

Connaissant le travail extrêmement méticuleux de Frédéric Blanchette, on suppose que ce sera mission accomplie.

Du 16 septembre au 11 octobre au Théâtre du Nouveau Monde (TNM)