Je n’y suis plus: victime du travail
Explorant l’aliénation et le vide identitaire causé par une vie consacrée au travail de bureau et à des interactions superficielles, Je n’y suis plus est un monologue vivant et bien intentionné, mais hélas bourré de lieux communs et qui peine à atteindre les profondeurs de son sujet.
Incarné par Magalie Lemèle (qui signe aussi la mise en scène en compagnie de Louise Naubert), ce monologue de Marie-Claude Verdier, soutenu par les interventions musicales et les bidouillages sonores de Jean-Sébastien Dallaire, nous met en présence d’une jeune femme victime d’un monde formaté et superficiel dont elle ne soupçonnait pas la fadeur. Incapable de manoeuvrer avec un boulot anonyme de service à la clientèle ou de vente (on suppose), mais aussi aspirée par les stratégies bidon de son employeur pour augmenter la productivité ou créer une fausse cohésion entre les employés, Ariane dénonce un monde entièrement voué au profit, dans lequel règne une bonne entente illusoire et des interactions artificielles, dominées par un écrasant small talk.
On a tendance à être d’accord avec elle, bien sûr, et si son analyse d’une société capitaliste et individualiste est assez juste, elle ne dépasse jamais les poncifs usuels. Qui plus est, adoptant la plupart du temps un ton plaintif et victimisant, elle échoue à faire de sa parole un discours social, ne se rendant pas elle-même moins individualiste ni moins égocentrique que les semblables qu’elle dénonce. Ainsi, sa parole tourne autour d’elle-même et demeure anecdotique. Si une certaine épaisseur psychologique du personnage apparaît discrètement lorsque des bribes d’enfance sont racontées (et juxtaposées à un imaginaire de conte de fées dans lequel elle se projette comme dans un refuge bienveillant), là encore elle se heurte à une absence de profondeur, de contexte, de perspective.
Marie-Claude Verdier, pourtant, est dotée d’une acuité sociale certaine, qu’elle a maintes fois démontrée au cours de son passage au Centre des auteurs dramatiques (CEAD) comme conseillère à la mise en valeur du répertoire: un poste dans lequel son intérêt pour les luttes ouvrières et la réflexion sur les classes sociales a trouvé ancrage dans un regard fécond sur des fragments oubliés de la dramaturgie québécoise. Je n’y suis plus est son premier texte pour le théâtre, dont les maladresses sont ainsi pardonnables. Il faudra surveiller sa prochaine offrande, Nous autres antipodes, dont elle nous parlait d’ailleurs au coeur de l’été.
La mise en scène de Magali Lemèle et Louise Naubert s’empare plutôt intelligemment du matériau textuel, toutefois, le faisant résonner dans un enrobage musical apte à mettre en exergue la vie répétitive et dénuée de sens que mène le personnage. La voix de Dallaire, mise en écho et échantillonnée, dévoile un pan de la désorientation vécue par Ariane. Il y a derrière ce travail sonore l’idée de créer une musique lancinante, musique de l’aliénation, des convenances, du factice – musique dans laquelle le personnage est entraîné insidieusement, à laquelle elle consent de manière servile et inconsciente.
À cela s’ajoutent quelques bonnes idées scénographiques. L’actrice évolue à l’intérieur de murs blancs lumineux qui évoquent tantôt l’écran de la télé aliénante qu’elle regarde le soir pour meubler sa solitude, tantôt l’écran d’ordinateur où s’animent des réseaux sociaux avilissants, tantôt le mur enluminé d’un bar où tournent à vide les conversations entre collègues de travail. Et ainsi de suite. La conception scénographique de Gabriel Tsampaleros synthétise de manière minimaliste et intelligente quelques thèmes de la pièce.
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Je n’y suis plus est présenté à nouveau ce soir, 19 septembre, à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier