Being at home with Claude : Plus politique qu’il n’y paraît
Dans une mise en scène sans surprises mais la plupart du temps intelligente et bien tendue, Frédéric Blanchette dirige le viscéral Benoît McGinnis et l’autoritaire Marc Béland dans Being at home with Claude, trente ans après sa rédaction fiévreuse par un jeune et inspiré René-Daniel Dubois.
La pièce commence dans un état de tension extrême, auquel le public aura peut-être un peu de mal à s’habituer. Le niveau d’agressivité (verbal mais aussi physique) est déjà fort élevé et fait d’abord craindre une interprétation caricaturale, trop exacerbée pour la complexité de ce qui s’apprête à être joué. Mais il n’y a peut-être pas d’autres moyens d’entrer dans cette œuvre qui commence bien longtemps avant sa première réplique, laquelle est dite dans l’atmosphère insoutenable d’un interrogatoire policier qui dure depuis déjà plus d’une journée. Le très méticuleux Frédéric Blanchette, connu pour sa direction d’acteurs hyper-précise, aura bien cerné l’affaire. Le ton, d’ailleurs, trouvera rapidement dosage. Mais, peut-être est-ce dû aux acteurs fulgurants qu’il dirige ici pour la première fois: la pièce nous aura laissé tout du long une dérangeante impression de trop-plein et d’hyperbole, peut-être dûe à une difficulté du metteur en scène à nuancer l’intensité (surtout lorsqu’elle est accentuée par une trame sonore un peu pompeusement cinématographique). Faut dire que le défi est grand avec ce texte ardent, illuminé d’un feu incessant et parcouru par une rare tension dramatique.
Dans l’ensemble, toutefois, les choix d’incarnation se défendent bien. Dans une telle pièce, racontant la quête de vérité d’un inspecteur confronté au mystère d’un crime passionnel commis par un jeune prostitué, tout repose sur le choix des acteurs et sur les moindres inflexions de leurs voix ou les moindres basculements de leurs corps. Cette mise en scène ne cherche pas à faire autre chose que d’orchestrer précisément ce ballet.
Marc Béland très typé, incarne l’autorité de manière très physique, dans une interprétation qui contraste furieusement avec celle, à fleur de peau et nerveuse, de son partenaire de jeu. Mains sur les hanches, corps penché sur le coupable, dans une position se voulant menaçante et empruntant un ton insistant et condescendant: tout est en place pour instituer une menace, une agression, une volonté d’écraser.
Voilà sans doute une manière d’insister sur les méthodes archaïques d’interrogatoire du personnage et de bien marquer la différence cruciale entre sa vision du monde et celle du jeune prostitué. Car à travers cette rencontre se joue aussi une série de confrontations entre deux visions du monde (ou deux visions du Québec): d’une part le besoin de sécurité et de certitude, d’autre part l’ardeur d’une jeunesse que l’on cherche trop souvent à étouffer.
À plusieurs années de distance de l’écriture, ce texte nous paraît d’ailleurs plus politique que ce que l’on en connaît théoriquement. Inscrit dans le contexte d’un Québec indépendantiste en quête de lui-même, le crime d’Yves se joue en parallèle de manifestations politiques auxquelles participe son bel amant et qui s’infiltrent dans l’interrogatoire. Même s’il n’est pas lui-même politisé, le romantisme du jeune prostitué est menacé de disparition au même titre que le rêve politique de son amant, dans un monde vieillissant où cette fougue ne peut se vivre que dans la douleur. En terminant la pièce sur une image de l’appartement où a eu lieu le crime et où flotte un drapeau québécois ensanglanté, le spectacle met en relief et permet de redécouvrir cette dimension du texte. Peut-être nous apparaît-elle également plus prégnante maintenant que l’on connaît Bob, autre personnage de René-Daniel Dubois dont la quête d’amour s’inscrit dans un arrière-plan social désenchanté.
Benoît McGinnis, dont le travail est toujours furieux (on pense à son Hamlet, notamment), était l’acteur désigné pour le rôle d’Yves. Perméable et frissonnant, il teinte son interprétation d’un jeu physique hachuré et pulsionnel; son corps étant parcouru de tremblements et de tics nerveux qui évoquent le trouble amoureux l’ayant poussé à une indicible perte de contrôle. Les états de vulnérabilité du corps que cet acteur arrive à atteindre sont plus que jamais foudroyants dans ce spectacle, et particulièrement dans son long monologue final, sous une lumière crue qui en illumine chaque mouvement.
Les effets d’écho dans la voix ou la trame sonore qui abuse des longues tonalités pour créer une tension artificielle ne contribuent pas vraiment à l’atmosphère. Trop peu subtils, ils parasitent la représentation plus qu’ils ne l’accompagnent. On pardonnera facilement ce petit écueil.