Eric Robidoux perdu dans les forêts de Sibérie
En 2010, l’explorateur et écrivain Sylvain Tesson s’est enfermé dans une cabane sibérienne, à la recherche d’un nouveau rapport à soi. Paula de Vasconcelos et Éric Robidoux donnent une incarnation scénique à ses méditations forestières dans le spectacle Dans les forêts de Sibérie. Entrevue.
Les amateurs de récits de voyage et les grands bourlingueurs de ce monde connaissent bien Sylvain Tesson, grand aventurier qui a souvent trouvé des manières inédites d’appréhender le monde et grand idéaliste à la recherche d’un rapport brut avec le territoire et avec l’Histoire. Mais en 2010, il a eu envie d’arrêter de marcher pour se poser 6 mois au lac Baïkal en Sibérie, dans une petite cabane. Seul au monde, à 7 jours de marche du village le plus proche, avec une caisse de cigares, une caisse de vodka, du riz et des livres, il en a tiré un livre d’observations sur la nature, sur l’intimité et la solitude.
«J’ai trouvé cette lecture fascinante», raconte le comédien-danseur Éric Robidoux, qui a créé avec Paula de Vasconcelos «une longue phrase chorégraphique» inspirée de cette œuvre. Celui qu’on connaît pour son travail chez Dave Saint-Pierre ou pour des rôles atypiques et toujours puissamment physiques dans les œuvres de Christian Lapointe est, dans la vie, une âme assez contemplative. Sa première idée était d’ailleurs de présenter Dans les forêts de Sibérie «à la lumière du jour, tôt le matin». «On a commencé par travailler une forme matinale, un spectacle à montrer seulement quand les esprits sont vierges, quand le silence règne et quand l’écoute n’est pas parasitée.»
Seul en scène, entouré de bûches de bois et de quelques éléments scénographiques, Robidoux tente de s’approcher de l’atmosphère sibérienne en cultivant un mouvement la plupart du temps minimaliste, accompagné d’extraits du livre de Tesson (qui sont projetés sur une fenêtre du décor). «Je ne me voyais pas parler pendant ce spectacle, dit-il. Il aurait été inopportun de déranger par la parole une œuvre qui est de nature contemplative et silencieuse. L’idée, c’est de recréer une atmosphère, un état, et de plonger le spectateur avec nous dans cet univers-là. On ne voulait rien jouer par-dessus cette œuvre, seulement donner aux gens à observer un point de fuite, et permettre à tous de projeter en moi toutes les images qu’ils veulent – comme un tableau neutre.»
Ainsi est évacuée la dimension environnementaliste de l’œuvre (Tesson aborde la protection de la forêt à quelques reprises) pour créer un espace de liberté de regard et d’aération mentale. «On ne voulait pas être dans le sentencieux, on voulait créer un tunnel dans lequel les gens entrent à leur guise. Un endroit où changer de vitesse, en tout cas, comme une forme de recueillement, d’assagissement, qui est aussi accentué par la musique d’Owen Belton. Avec lui on est allés faire de la raquette, on a enregistré des sons de neige et de forêt, à partir desquels il a conçu une musique organique. Et du coup ça prend des dimensions divines.»
Et le corps? N’y-a-t-il que l’immobilisme qui puisse représenter l’état d’esprit du voyageur sibérien? Dans le livre, Tesson raconte les transformations de son corps, qui, peu à peu, devient «moins vif». Robidoux nuance : «Tesson explique que, comparé au rat des villes, le rat des campagnes est moins excité, qu’il a moins de répartie. Pas qu’il soit engourdi, mais d’une certaine façon il est plus proche de l’essentiel. Avec le corps, je travaille l’immobilisme, mais aussi une déambulation solitaire un peu engourdie. Sauf qu’on ne néglige pas dans le spectacle les moments de folie et de ludisme qui peuvent émerger de la solitude – car la solitude peut aussi devenir espace de liberté, débarrassé du jugement de l’autre.»
Dans les forêts de Sibérie est présenté à l’Usine C jusqu’au 27 septembre