Trois décennies d'amour cerné / Le sida n'est pas mort
Scène

Trois décennies d’amour cerné / Le sida n’est pas mort

Finie, la crainte perpétuelle du sida? Pas vraiment, pense le chorégraphe français Thomas Lebrun (directeur du Centre chorégraphique national de Tours). Dans Trois décennies d’amour cerné, il explore l’angoisse du VIH en 3 solos, un duo et autant d’états de corps. Entrevue.

Anthony Cazaux est le premier à fouler la scène de l’Agora de la danse pour le premier solo de ce spectacle en 4 temps. Danseur «tonique», à la «physicalité puissante», il se lance dans un solo qui explore «la notion du risque». «C’est un spectacle qui s’attarde à explorer comment la maladie a transformé les rapports amoureux et sexuels, explique Thomas Lebrun.  Le sida est apparu quand j’avais 7 ans et j’ai donc vécu les débuts de ma vie sexuelle dans une certaine crainte. Le solo d’Anthony, toutefois, montre que le risque de l’amour était tout de même embrassé, parfois même le risque était célébré, dans certains courants homosexuels où les pratiques sexuelles risquées étaient à la mode.»

Suivra un duo sur la peur, exécuté par Raphaël Cottin et Anne-Emmanuelle Deroo : une suite de mouvements vers l’autre qui seront interrompus et hachurés par la crainte. «Plus le spectacle avance, dit Lebrun, et plus il se modèle à l’évolution de la maladie dans la société, montrant ce duo hétéro aux prises avec des difficultés à s’étreindre et à s’abandonner à l’autre. Puis on va vers le doute, dans un solo torturé d’Anne-Sophie Lancelin, où elle explore le sentiment d’incertitude qui arrive après l’acte sexuel, lorsqu’on ne sait pas si on a été contaminé ou non. Je boucle la boucle avec un solo de solitude, qui correspond à la solitude de l’abstinence ou à la solitude du partenaire perdu parce que décimé par la maladie.»

5 danseurs aux corps et aux énergies différentes, pour porter différents regards, différentes perspectives sur le sujet. «On croit aujourd’hui qu’on n’en meurt plus, que la tri-thérapie a tout changé et que le sida ne devrait plus être source d’inquiétude.  Mais c’est faux. Je pense qu’il faut continuer à s’intéresser au sida et qu’il faut décliner le sujet dans toutes ses dimensions.»

Dans un spectacle très cadencé, «avec un tempo régulier qui agit comme un accent d’insistance», Thomas Lebrun évoque aussi la maladie à travers une musique pop revisitée, «qui permet de traverser les décennies et mesurer l’évolution de la maladie dans un jeu d’écho avec la culture pop.» «Ce sont des airs connus des années 1980 et 1990, précise-t-il, et qui sont repris par des groupes d’aujourd’hui, ainsi répercutés dans l’ici-maintenant. Par exemple, on entendra A wonderful life repris par Smith and Burrows. Mais aussi des reprises par Anne Clark, Patti Smith, ou même Anthony and the Johnsons qui reprend une chanson de Beyoncé.»

Connu pour écrire une danse «ciselée» et «très écrite», mais aussi «théâtrale», Thomas Lebrun en est à son premier passage sur une scène montréalaise.

 

À l’Agora de la danse jusqu’au 26 septembre