Notre Damn: lyrisme et austérité
Scène

Notre Damn: lyrisme et austérité

Œuvre lyrique contemporaine de Rachel Burman, en latin, en anglais et en langue inventée, l’opéra Notre Damn séduira les oreilles les plus exigeantes et les plus ouvertes à l’avant-garde en chant lyrique, mais laissera en plan ceux qui y attendaient une théâtralité puissante.

Même pour une oreille telle que la mienne, totalement inaccoutumée aux subtilités du chant lyrique, ce spectacle aura montré une fraîcheur et une profondeur saisissantes dans le travail vocal. Il me faut d’emblée admettre mes limites pour critiquer une œuvre musicale qui dépasse de loin mon champ de compétences . Mais le chant de Marie-Annick Béliveau, d’Anne Julien et de Janet Warrington atteint visiblement dans ce spectacle un haut degré de délicatesse et de sophistication. Leurs voix profondes parcourent leurs corps frissonnant en s’agrippant à toutes les nuances – s’ancrant dans une physicalité terrestre qui sera de plus en plus dominée par les hauteurs du désir charnel. Il faut souligner la rareté de ce type de spectacle – une première au Théâtre La Chapelle, d’ailleurs  – même si le travail scénique austère et minimaliste en fait un spectacle aride, échouant le plus souvent à mettre la fable en relief ou à offrir une expérience cohérente et évocatrice pour le spectateur.

Au violoncelle, la compositrice et grande orchestratrice de ce spectacle, Rachel Burman, s’accompagne du travail inclassable d’André Papathomas, discret derrière ses instruments inventés qui font résonner cordes et percussions. La musique évoquera d’abord indéniablement les musiques sacrées d’une autre époque, avant de se détriturer subtilement et d’emprunter des chemins plus dramatiques, à mesure que les interprètes évoluent dans cet opéra qui raconte l’abandon de l’Église par trois religieuses anglaises. Même si le spectacle a clairement des ambitions narratives, il évolue sur ce territoire à pas hésitants, cultivant un mystère que les paroles en latin ne permettent pas d’élucider (et il n’y a pas de surtitres). Burman cherche volontairement à positionner le récit dans une zone d’indéfini et d’irrationnel. Mais le dosage entre les modes narratif et onirique est peu réussi: la partition semble trop trouée pour qu’on arrive à y faire notre chemin.

Il est certes question de femmes graduellement délestées du poids du passé et de la tradition (ce que les lents dégrafages des robes expriment sans ambiguïtés). La chorégraphie de Sarah Williams, toujours trop illustrative et même un brin infantilisante, montre aussi des corps de plus en plus perméables et conscients des vertiges et des joies de leur féminité. La maternité est d’ailleurs évoquée ici ou là. Mais de manière générale, ces ex-nonnes qui cueillent des fleurs imaginaires ou regardent béatement passer une mouche se contentent d’une gestuelle naïve, assez primaire. Certes, ces séquences évoquent bien la béatitude issue de la découverte tardive de la nature, après des années d’enfermement. Mais il s’agit là d’un travail chorégraphique qui reste toujours au premier degré, au râs des pâquerettes.

Il y a aussi un certain travail d’expressivité faciale: les visages paraissant hypnotisés, d’abord sous l’emprise de Dieu puis dominés par une nouvelle force, d’une nature plus extatique et plus permissive. Ce parcours est touchant, mais il est d’une simplicité qui ne fait pas très bien écho à la complexité de la partition vocale.

Une œuvre tout de même atypique qui attirera les spectateurs les plus curieux.

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Au Théâtre La Chapelle jusqu’au 4 octobre