Felix-Antoine Boutin / Koalas : Réenchanter le monde
Remarqués dans différents festivals au cours des trois dernières années, les spectacles de Félix-Antoine Boutin allient recherche formelle, plasticité inventive et recherche de nouveaux rapports au sacré. À quelques jours de la première de son spectacle Koalas, discussion avec un jeune metteur en scène en ascension.
Il est sorti de l’École nationale de théâtre il y a peu. Mais il ne lui a pas fallu beaucoup de temps pour attirer l’attention sur son travail stimulant, conçu dans un esprit performatif et convoquant tous les éléments de la scène dans des spectacles polyphoniques qui puisent autant dans une certaine plasticité que dans une remise en question des codes du jeu d’acteur. Pour toutes ces bonnes raisons, Félix-Antoine Boutin est l’un des heureux élus que le Théâtre d’Aujourd’hui soutient pendant les deux prochaines années en lui offrant une résidence de création. Il compte y «développer une esthétique performative, télescopant les codes de la performance dans un cadre fictionnel». À Bruxelles, dans quelques mois, on l’accueillera au centre de recherche artistique L’L, où il mènera des chantiers de réflexion et d’expérimentation sur la notion de rituel.
Koalas est la première étape de cette démarche artistique plurielle. «Le show existe depuis trois ans, précise-t-il, mais on le retravaille pour que les acteurs atteignent véritablement un état de présence performatif. C’est mon gros chantier. Il s’agit de faire en sorte que les personnages soient habités sans être artificiels, en restant dans une immédiateté de la parole et dans une simplicité de l’incarnation. Il s’agit aussi de créer des terrains de spontanéité à l’intérieur des spectacles, un espace de fragilité qui permet au spectacle de se réinventer constamment.»
Vaguement inspiré d’Edouard II, une vieille pièce de Christopher Marlowe (le contemporain de Shakespeare qui a toujours évolué dans l’ombre de son imposant rival dont l’oeuvre a fini par être négligée au profit de celle du Barde), Koalas croise deux familles dans une «exploration anthropologique» de la dépendance affective. «Les dynamiques de ces deux familles sont bousculées par l’arrivée de Tom, un jeune éphèbe. S’installe alors un pentagone amoureux assez complexe, qui nous permet de décortiquer la notion de doute et l’enjeu de la scénarisation de soi dans nos rapports à l’autre. Chaque personnage est soudainement incapable d’agir, incapable de parler, incapable de faire évoluer son rapport à l’autre à cause d’un doute constant.»
Entièrement écrite au conditionnel, la pièce met en scène une action qui pourrait advenir, mais qui finira par advenir que très laborieusement. «C’est aussi une métaphore de mes propres doutes, raconte Boutin. C’est mon premier texte, et quand j’ai commencé, je me suis avéré incapable de rédiger le moindre dialogue, écrivant plutôt une longue didascalie de 30 pages. Devant ma propre incapacité à écrire, j’ai fini par trouver une forme pour cette pièce. Il s’agit de mon doute, mis en parallèle avec celui de mes personnages, mais on peut aussi certainement l’inscrire dans un arrière-plan social, y voir une illustration d’un monde qui offre beaucoup de choix et peu de repères, peu d’espaces de sacré, nous laissant seuls avec nous-mêmes et souvent inaptes à décider de ce que nous ferons du vertige qui nous habite.»
À travers ce constat d’un monde en déséquilibre, Félix-Antoine Boutin cherche un espace de réenchantement. On a envie de le suivre.
Du 7 au 25 octobre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (salle Jean-Claude Germain)
Bonjour, juste une petite note sur un détail qui m’a accrochée. Christopher Marlowe était bel et bien un contemporain de Shakespeare. Toutefois, il n’a pas toujours été «dans l’ombre» de ce dernier. En fait, de son vivant, il avait plus de succès que son rival. Si aujourd’hui, l’œuvre de Shakespeare est plus connue, il n’en était pas de même au 16ème siècle.
Vous avez raison. J’ai un peu confondu avec Ben Johnson. Et je voulais aussi signifier que l’oeuvre de Shakespeare a fini par supplanter celle de Marlowe à travers les années. Mais j’ai effectivement très mal formulé le contenu de cette petite parenthèse. Je vais faire la modification.