Festival Actoral / Gisèle Vienne / Kindertotenlieder : Jouer à la poupée
Scène

Festival Actoral / Gisèle Vienne / Kindertotenlieder : Jouer à la poupée

Montréal n’a rien vu du travail de Gisèle Vienne depuis Jerk, troublant spectacle de ventriloquie trash présenté ici en 2010. Actoral nous offre Kindertotenlieder, œuvre emblématique de l’univers ritualisant et romantico-cruel de cette metteure en scène et marionnettiste française qui ne laisse personne indifférent.

Digne descendante artistique de Kantor et de son théâtre conviant les fantômes sur scène en croisant les acteurs et les poupées de cire, Gisèle Vienne travaille depuis des années avec l’auteur américain Dennis Cooper, avec qui elle partage une passion pour les personnages d’adolescents aux penchants autodestructeurs (qu’elle appelle les lolitas masculines). On les retrouve sur scène dans Kindertotenlieder, sous forme de poupées mais aussi sous forme humaine, dans un spectacle qui flirte avec le sacré en pigeant dans un vieux rituel païen autrichien, sur fond de black métal. Oui, oui, vous avez tout bien lu. 

«Je m’intéresse beaucoup à Georges Bataille, explique-t-elle, notamment à une notion qu’il développe dans La part maudite, qui interroge le rôle et la place du rituel dans nos sociétés en pointant le concept de dépense improductive. C’est-à-dire qu’il observe une société qui se libère de la nécessité de productivité en s’adonnant à des fêtes et des rituels, lesquels se présentent comme une nécessité. J’ai voulu créer une pièce qui croiserait différents "rites", lesquels se retrouveraient sur un même plateau – à l’endroit du théâtre –, ce qui permet aussi d’interroger le rôle du théâtre dans la communauté.»

Kindertotenlieder se présente donc d’abord comme un regard sur l’enterrement d’un jeune homme, dont le fantôme émergera du cercueil pour entamer une quête de vérité au sujet de sa mort. Se greffent à cette situation un concert de black métal (le groupe KTL, fondé pour le spectacle mais faisant aussi carrière en parallèle, est sur scène en permanence) et une évocation d’un rite autrichien dans lequel interviennent les Prechten, créatures mi-démon mi-animal, à peau de mouton.

«À travers le croisement de ces trois formes de rituel, poursuit-elle, je m’intéresse à la question de la représentation de l’effroi et du rituel lié à la mort. Mais je me préoccupe aussi de pulsions adolescentes extrêmes, que je traite de manière très émotionnelle et que je lie à une certaine culture romantique.»

Ainsi les lolitas masculines, garçons aux cheveux longs qu’on peut aisément imaginer faisant du skateboard ou fumant des joints, peuplent la scène en y injectant autant de désir et de sensualité que de noirceur et de destruction. «Ce sont des personnages comme ceux qu’on voit chez Larry Clark ou chez Gus Van Sant. Il y a dans leur présence sur scène un double mouvement: d’abord une pulsion de mort qui est carrément suicidaire, puis une pulsion de mort qui est plutôt créative. J’aime voir cette pulsion comme étant dangereuse, mais aussi possiblement bénéfique. Le côtoiement de la mort, ou des limites de l’humain, peut parfois être un stimulus.»

Chez Gisèle Vienne, d’ailleurs, les poupées et marionnettes représentent puissamment cette ambiguïté. Inanimées, elles évoquent tout de même la vie et brouillent les perceptions. «Elles incarnent, dit-elle, une certaine absence, un fantasme. Elles représentent ce que Freud appelait "l’inquiétante étrangeté". À notre époque, on a généralement un rapport très rationnel aux objets, mais même les plus cartésiens d’entre nous n’entretiennent pas un rapport complètement rationnel avec les objets anthropomorphes comme les poupées ou les mannequins, qui nous placent toujours dans un certain trouble. Ce rapport très archaïque qu’on entretient avec les mannequins me passionne.»

Les 24 et 25 octobre à l’Usine C dans le cadre du festival Actoral / usine-c.com/programmation