Festival Actoral / Hubert Colas / Nécessaire et urgent : Embarquement Montréal-Marseille
Il n’est pas peu fier, Hubert Colas. Son festival Actoral, dédié aux écritures contemporaines et né à Marseille ces dernières années, se déploie pour la première fois dans une version montréalaise à l’Usine C. Il débarque aussi avec son spectacle Nécessaire et urgent. Discussion.
Résultat d’un dialogue fertile avec la scène québécoise depuis quelques années, et particulièrement avec Danièle de Fontenay, directrice artistique de l’Usine C, la mise en place d’une édition montréalaise d’Actoral se fait dans le bonheur de croiser les paroles d’ici et de là-bas, conviant autant l’esprit punk de Gisèle Vienne (lire notre entrevue avec elle) que l’esprit aérien de Marie Brassard.
Mais Actoral, quessé ça? «Quand j’ai commencé à travailler à Marseille avec ma compagnie, dit Hubert Colas, j’ai découvert qu’il n’y avait pas d’endroit pour interroger l’écriture contemporaine par des nouvelles formes scéniques, pas d’endroit où travailler l’interdisciplinarité en croisant le théâtre, la danse, la performance et les arts plastiques. Je me suis dit qu’il fallait l’inventer, rassembler des artistes qui ne se fréquentent pas, et rassembler aussi des publics qui ne se retrouvent pas souvent au même endroit.»
À cette noble mission s’ajoute aujourd’hui celle de provoquer «un échange culturel réel entre le Québec et la France». Ainsi, Colas n’a pas hésité à inviter à Marseille, entre autres, la belle équipe du NoShow et le spectacle Yellow Towel, de Dana Michel. Dans les deux villes, à quelques semaines d’intervalle, Marie Brassard crée une curiosité scénique avec Alain Farah, pendant que la Québécoise Sarah Berthiaume s’unit au metteur en scène Julien Gosselin, nouvelle coqueluche de l’Hexagone (lire notre autre texte). «L’idée est vraiment de créer des rencontres artistiques durables et fertiles.»
On se réjouit, car Actoral Montréal nous ramène aussi un spectacle d’Hubert Colas, dont le travail rigoureux et sensible arrive toujours à matérialiser superbement le mystère de la pensée humaine et les circonvolutions du langage. Nécessaire et urgent est un texte d’Annie Zadek, entièrement écrit sous forme interrogative, qu’il a redistribué dans les voix d’un homme (Thierry Raynaud) et d’une femme (Bénédicte Le Lamer). Allégorie d’un monde d’incertitudes et de doutes, qui évoque le passé trouble de la Shoah pour le mettre en confrontation avec un avenir incertain, le spectacle pose avant tout des questions intimes.
«C’est un texte, dit-il, qui n’est pas a priori dramatique, mais qui a une grande puissance dramatique à travers cette forme interrogative. Sont abordées les grandes questions reliées à la mémoire collective des événements troubles, mais aussi la notion d’exil: faut-il partir ou rester? Quitter le dogme religieux juif ou pas? La série de questions évoque, doucement, l’idée d’avoir un corps fantôme à l’intérieur de soi sans en reconnaître particulièrement les contours. Des mouvements d’âme y sont évoqués, dans une absence de réponses qui me semble parlante, caractéristique du doute qui nous habite tous.»
Ce serait même une forme idéale, à plusieurs égards, pour dépeindre une société saturée d’informations, dans laquelle on ne sait plus sur quel pied danser. «On est à une forme de fin de civilisation, en ce moment, qui n’est pas comparable à celles qui ont précédé. Et on ne sait pas encore quels sont les pensées futures ou les modèles de société qui seront adoptés par les humains bientôt – je pense que ce texte en témoigne particulièrement. Les communications incessantes, la surabondance d’informations, et parallèlement l’absence de modèles collectifs rassurants, nous placent dans une incertitude criante.»
Ce spectacle pose ainsi, dans la multiplicité, la question de notre devenir collectif.
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Festival Actoral, du 21 octobre au 1er novembre à l’Usine C / Nécessaire et urgent, les 28 et 29 octobre