Festival Actoral / Sarah Berthiaume / Nous habiterons Détroit : Dans les ruines de Detroit
Actoral provoque une rencontre inespérée entre l’auteure québécoise Sarah Berthiaume et le metteur en scène français Julien Gosselin, dont les imaginaires se projettent à Detroit en compagnie de jeunes acteurs finissants d’une école cannoise. Entrevue.
«J’ai demandé à travailler avec Julien Gosselin, dit Sarah Berthiaume. On ne se connaissait pas, mais j’avais vu et beaucoup aimé Les particules élémentaires.»
Au moment de la rencontre, l’auteure s’intéresse à Detroit, ville déchue du Michigan, massivement abandonnée par une population croulant sous les dettes et première métropole états-unienne à déclarer faillite. L’auteure poursuit donc son voyage à travers ces lieux qui ont «été quelque chose», qui s’abîment et qui, parfois, renaissent: ancien village de pêche (Le déluge après), territoire fantôme (Yukonstyle), Pompéi, Gagnonville, Kandahar (Villes mortes), feu Le Madrid (Les orphelins de Madrid), ce vieil hôtel de passe en voie d’être démoli (Hôtel Jolicœur). «Je suis fascinée par les villes et les endroits en ruines. Ce sont des lieux très inspirants, au passé riche et à l’avenir incertain. Ils sont aussi symboliquement très chargés: ce sont les vestiges d’empires qui ont connu leur chute.»
Détroit, par exemple, est une ville où l’échec d’un système a laissé place à une étrange liberté; celle des fêtes, nus, au clair de lune, comme de la violence impunie et du désœuvrement. Sarah parle de Detroit à Julien, qui tombe lui aussi sous le charme de ce géant à genoux. «Julien aime travailler à partir de textes non théâtraux, et l’idée de renouer avec l’écriture narrative me plaisait. C’est devenu un formidable exercice d’écriture. Nous voulions faire un pont poétique entre ces jeunes Européens, comédiens dans la vingtaine, et cette ville américaine. Comment la rejoindre, se l’approprier? Je me suis beaucoup documentée sur Detroit, alors il y a des faits, des assises dans le réel, mais je me suis aussi tournée vers le rêve éveillé, le « buzz » d’une nuit d’insomnie passée à conduire. Puis Julien m’a relancée avec des demandes que j’ai adorées. Peux-tu nous écrire un passage avec un monstre?»
En laboratoire avec les étudiants, Julien poursuit sa démarche entre théâtre et médias. Il manie le chœur et les monologues, se joue de la frontière entre comédien et personnage, met à contribution toutes les surfaces disponibles. «C’est une machine vivante, habitée, cinématographique. On sent que c’est un groupe de jeunes qui s’emparent d’un texte et d’une ville, qui projettent leurs rêves sur les ruines d’un monde.» Sarah parle de Détroit comme de l’enfant prodige du capitalisme, qui en a bénéficié et en souffre le plus, sorte de déclin de l’empire américain à l’œuvre, mais également comme d’une terre en friche.
«Il ne faut pas en avoir une vision trop idyllique, mais il y a aussi des gens qui font de l’agriculture urbaine parce que les supermarchés ont déserté. Ils vont dans les écoles pour apprendre aux jeunes que les pois ne viennent pas des cannes et qu’ils peuvent se nourrir eux-mêmes. J’ai tenté de donner une réponse poétique à tout ça.»
Nous habiterons Détroit / À l’Usine C les 28 et 29 octobre dans le cadre du Festival Actoral / usine-c.com/programmation