Vania / Théâtre du Trident : La prophétie d’Anton Tchekhov
Drôle par moments, tragique le reste du temps, peuplé de personnages avant-gardistes. Bien qu’écrit à la fin du XIXe siècle, Oncle Vania (titre original de la pièce) trouve écho aujourd’hui et c’est pourquoi Marie Gignac lui redonne vie.
Au départ, c’est Anne-Marie Olivier, directrice artistique du Théâtre du Trident, qui a eu l’idée. «Quand elle a eu le poste, elle a fait le tour des artisans de Québec et les a rencontrés un à un, pour sonder leurs désirs. Moi, je rêve de reprendre Tchekhov depuis longtemps, mais mon premier choix était Platonov, une pièce d’une trentaine d’acteurs qui dure 4 heures 30 ou 5 heures. C’est là qu’elle m’a proposé Vania», raconte la metteure en scène Marie Gignac, la papesse du théâtre à Québec – est-ce encore utile de le préciser? -, femme d’action qui dirige le Carrefour international de théâtre de Québec depuis 1997.
C’est Hugues Frenette qui campe le rôle-titre, celui-là même qu’elle avait choisi pour jouer Cyrano en 2008 et Henri IV deux ans plus tard. Entre eux, ça a cliqué tout de suite dès la première rencontre, comme un coup de foudre professionnel. «On a une grande confiance mutuelle», confie l’acteur. Pour madame, d’ailleurs, le choix d’Hugues pour jouer l’oncle Vania allait de soi. Il n’y a donc pas eu d’audition. «C’est toujours des vieux acteurs qui jouent Vania d’habitude. C’est parce que ça prend de l’expérience de vie et de l’expérience sur les planches. Malgré son jeune âge [il a 41 ans], Hugues a énormément de métier.»
Parce qu’il faut l’écrire: ce n’est pas donné à tout le monde de jouer un rôle aussi complexe, profond, touffu et terriblement triste. Son interprète nous dévoile une part de ses secrets ou, en tout cas, le chemin émotionnel à emprunter pour prendre ses traits. «Faut le construire à la mise en place. Tu te garroches pas dans les murs dès le début. Faut ouvrir les valves une par une, aller chercher des émotions que tu ne veux pas forcément ressentir, aller jouer dans des places pas l’fun. Après tout, le gars est en dépression et en peine d’amour!» Marie, elle, est plus au moins d’accord. «Aujourd’hui, c’est facile d’utiliser le mot "dépression". Moi, je pense plus qu’il est en crise de la quarantaine. Il remet en question toute sa vie.»
Mais le personnage le plus étonnant, selon eux, reste celui du médecin nommé Astov, qui tient un discours écologiste tout à fait étonnant pour un homme de son temps et qui, comme beaucoup d’hommes d’aujourd’hui, a du mal à s’engager auprès d’une femme. «Je pense que ce personnage ressemble beaucoup à Tchekhov. Il est médecin, il plante des arbres. […] Les grands artistes sont toujours des visionnaires; ils sont tellement branchés sur leur monde qu’ils ont des antennes pour prédire ce qui s’en vient.»
Dépoussiérer le classique
Même si le texte d’origine est encore actuel, Marie Gignac a quand même fait des choix artistiques pour le dérider un peu. «C’est pas du Michel Tremblay, quand même, mais j’ai voulu que la langue soit directe, plus proche de nous, et avec moins de fioritures. On l’a oublié avec les traductions "françaises de France fleuries", mais l’original était comme ça à la base.»
Les costumes contemporains contribuent aussi grandement à rafraîchir la pièce. Fait intéressant: c’est Maude Audet, la musicienne, qui a cosigné l’habillage musical de la (très) récente reprise des Fées ont soif par Alexandre Fecteau, qui a joué le rôle de la styliste. Exit le nœud papillon, le haut collet et le monocle. Vania, Astrov, Éléna et les autres sont habillés comme vous et moi. «Je n’avais pas envie de faire semblant qu’on était en Russie et qu’on était Russes. Si on mettait en scène une pièce japonaise, on ne se prendrait pas pour des Japonais.» La scénographie, quant à elle, a été inspirée par le chalet en bois rond de Mme Gignac, sa «petite cabane» dans Saint-Raymond-de-Portneuf.
Ce qui reste de la Russie, c’est la vodka. L’alcool coule à flot toute l’histoire durant et est toujours à la portée des mains. Mais n’est-ce pas un cliché? Hugues et Marie échangent un sourire complice, celui des inside jokes, puis se mettent à rire. «Y’a toujours un peu de vrai dans les clichés», soutient Marie. Puis elle se lance: « C’est comme la fois où on était allés présenter Les trois sœurs de Wajdi Mouawad au Festival Tchekhov de Moscou. On avait été invités à dîner, pas souper, là, et ça buvait de la vodka cul sec. C’était impoli de ne pas en boire. Moi, je me souviens d’avoir triché avec de l’eau pour être capable de faire la répét’ qu’on avait après.»
Du 4 au 29 novembre au Trident