Andréane Leclerc, une contorsionniste pas comme les autres
Peu intéressée à se produire dans des œuvres circassiennes qui valorisent la prouesse physique au détriment du sens, la contorsionniste Andréane Leclerc a développé un rapport singulier avec sa discipline. Entrevue au sujet de ses spectacles Cherepaka et Bath House, présentés dans le cadre du festival Phenomena.
VOIR : Vous n’êtes pas une contorsionniste tout à fait traditionnelle. De quoi se nourrit votre pratique?
Andréane Leclec : «Je trouve que la contorsion, en cirque traditionnel, ne se soucie que de la prouesse. Or, je m’intéresse à ce que peut signifier ce langage corporel de manière plus profonde qu’à travers son unique virtuosité. Il y a aussi une tendance de cirque narratif, qui embrasse des dramaturgies plus linéaires, mais cette manière de raconter ne réussit pas non plus à s’arrimer aux codes de la contorsion, en général. Mon questionnement est le suivant : peut-on mieux écrire la prouesse? Peut-on témoigner, à travers elle, d’une réalité, refléter cette réalité à partir d’images déformées?»
VOIR : Cherepeka, conçu pendant votre maîtrise à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, repose sur un travail d’étrangeté et de temporalité. Racontez-moi.
Andréane Leclerc : «Dans Cherepaka, je fais effectivement une recherche sur l’espace-temps, cherchant à créer avec le corps un espace entre le passé et le devenir, à inventer à travers la déconstruction du corps et sa reconstruction une spatiotemporalité précise. C’est un spectacle en un seul tableau, dans lequel se développe une dramaturgie dans le mouvement entre les différentes parties de mon corps. Un mouvement très lent, d’ailleurs, puisqu’on a écrit la pièce dans une logique de dévoilement de sensation, dans une perspective très sensorielle. On a aussi travaillé l’idée d’un corps sculptural – et cette impression est renforcée par la scénographie.»
VOIR : C’est aussi un spectacle inspiré de Francis Bacon?
Andréane Leclerc : «Oui, et surtout de l’analyse de son œuvre par Deleuze, qui a inventé le fameux concept du «devenir-animal». Ça m’inspire une pièce sur la dualité entre l’égo et l’instinct animal; un spectacle explorant également le rapport entre la chair et la carapace. Le symbole de la tortue vient lier toutes ces explorations, et c’est pourquoi le spectacle s’intitule Cherepaka, qui veut dire tortue en russe.»
VOIR : Qu’en est-il de Bath house?
Andréane Leclerc : «J’ai créé Bath house avec des danseurs lors de l’événement Piss in the pool, au Bain St-Michel, donc dans un climat de spontanéité et de permissivité, mais surtout en m’inspirant très fort de ce lieu qui m’a donné envie de travailler le thème de l’emprisonnement, de l’enfermement. Je m’inspirais de l’idée de l’eau qui avale puissamment le corps, de la force de la marée, placée en opposition avec l’eau stagnante de la piscine.»
VOIR : Comment s’y intègre la contorsion?
Andréane Leclerc : «J’ai travaillé des mouvements de contrainte : comme si la liberté et l’immensité de l’eau était pervertie au moment où elle touche le corps en le contraignant au maximum. Dans le même esprit, le public est disposé de façon à créer un mur qui entoure et encadre les corps. C’est donc un spectacle qui évoque une quête de liberté, mais dans lequel se dévoile aussi un corps se réfugiant dans la contorsion comme pour fuir une réalité oppressante. C’est aussi, à un autre niveau, un corps blessé, qui se relève et se reconstruit, dans un mouvement hyper-contradictoire (notamment au niveau des hanches).»
EN REPRISE
Cherepaka est à l’affiche du festival Montréal Complètement Cirque du 4 au 6 juillet 2015 à l’Espace GO
Un phenomene passionnant que le rapprochement du contorsioniste a l’animal. Cela rend « l’animal » en l’homme si intelligent et si proche . On a presque envie d’etre contorsioniste pour evoquer et exprimer tous nos moments d’angoisse et de peur Le contorsionisme, serait-il a apprendre? ou a developer en nous? Retour a un autre age?