Une excellente pièce de danse au Festival Actoral / Entrevue avec l’inclassable Thomas Ferrand
Le titre est trompeur. Une excellente pièce de danse, un spectacle imaginé par l’atypique Thomas Ferrand, n’est pas vraiment un spectacle de danse mais plutôt un objet scénique non-identifié, poème scénique qui flirte avec l’art plastique et les ambiances étranges. Entrevue.
NOTE DE LA RÉDACTION: Nous venons d’apprendre que la présentation de cette pièce a été annulée et sera remplacée par le spectacle Ah ! l’amour, d’Antoine Dufeu et Thierry Raynaud. Nous vous invitons tout de même à prendre connaissance de l’entretien que nous a accordé Thomas Ferrand, dont la démarche est fort stimulante.
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Thomas Ferrand est un homme de théâtre français qui aime les atmosphères et qui, dit-il, «essaie de créer des climats». «Ce que je fais est très visuel, et en même temps j’essaie de créer des sensations de temps différents: accélérations, ralentissements. J’aime aussi définir mes spectacles comme de la peinture, comme des tableaux vivants en trois dimensions.»
VOIR: En choisissant un tel titre, un peu moqueur, que tentez-vous de transmettre? Est-ce une manière d’affirmer votre interdisciplinarité?
Thomas Ferrand: «Ce titre est né d’une boutade. Un producteur m’a un jour demandé ce que j’allais faire comme prochain spectacle et j’ai répondu : une excellente pièce de danse. C’est aussi une manière pour moi de montrer que je fais fi des catégories, que mes spectacles sont plastiques et performatifs tout à la fois, qu’ils peuvent évoquer autant la danse que le théâtre ou les arts visuels. Mes spectacles, d’ailleurs, ne sont pas forcément bavards, c’est mon inconscient qui y est dévoilé et il ne fonctionne pas de manière rationnelle, il n’est pas explicable par des concepts intelligibles! Dans d’autres sphères d’activités, quand je porte le chapeau de rédacteur en chef de la revue Volailles par exemple, j’aime beaucoup réfléchir de manière très organisée et je suis théoricien à mes heures. Mais mon travail scénique échappe à cette logique, il est dans un registre onirique que je ne cherche pas à intellectualiser.»
VOIR: Vous faites un théâtre que l’on pourrait dire ancré dans l’inconscient. Qu’est-ce-à-dire?
Thomas Ferrand: «Je m’intéresse à l’irrationnel, à ce qu’il fait surgir comme images en moi mais aussi dans l’imaginaire du spectateur qui reçoit le spectacle. C’est à travers la dilatation de l’espace et du temps, surtout, que se produit cette apparition de l’irrationnel. J’ai de la difficulté à expliquer le processus de création à travers lequel se déploie tout cela. On travaille en équipe à partir d’images que l’on déconstruit, que l’on tente d’emmener ailleurs, de décadrer. C’est aussi dans une certaine lenteur que se créent mes spectacles, ou plutôt dans un processus de maturation et de gestation. on fait des blocs de répétition où tout va vite, mais on prend ensuite de longues pauses pendant lesquelles ce qu’on a créé peut s’infiltrer en nous et se transformer. Je crois beaucoup à ça, au pouvoir de l’inconscient qui arrive à approfondir les idées et les images par lui-même quand on lui laisse le temps.»
VOIR: Dans ce cas-ci, la scénographie est au fondement du travail scénique. De quelle manière?
Thomas Ferrand: «Je voulais un plateau sur lequel on a l’impression de perdre nos repères, quelque chose de flottant. J’ai travaillé avec Sallahdyn Khatir, le scénographe habituel du grand Claude Régy, qui a constitué un plateau bancal, étrange, qui est une sorte de plan incliné qui place les acteurs dans un déséquilibre constant, dans un décalage. Ce que j’aime c’est qu’on ne remarque pas le plan incliné tout de suite, qu’il y a un sentiment d’étrangeté à priori difficile à détecter.»
VOIR: On décrit votre travail comme étant absurde, clownesque, comique. Est-ce un effet délibérément recherché, est-ce que vous travaillez cet humour de manière consciente?
Thomas Ferrand: «C’est un comique grinçant, qui est voulu ainsi, bien sûr. C’est un humour qui repose sur les décalages, peut-être sur une certaine forme de malaise. Ce n’est jamais de la franche rigolade mais je cherche à créer chez le spectateur des réactions inhabituelles, qui le dérangent à un endroit où il ne s’attendait pas à être titillé.»
VOIR: Votre univers est aussi assez référencé, traversé par des échos à une certaine culture populaire. Quelles influences revendiquez-vous?
Thomas Ferrand: «Je ne travaille pas de cette manière, pas dans un cadre de références conscient, mais il est vrai qu’on compare souvent mon travail à Gus Van Sant, par exemple dans Last Days, ou au cinéma de David Lynch, et je me reconnais bien dans leur onirisme. Autrement, je suis un produit de certaines esthétiques de mise en scène françaises, comme le Théâtre du Radeau (ndlr la compagnie du metteur en scène François Tanguy) ou le théâtre de Jean-François Peyret. Ces deux artistes-là sont pourtant très différents de moi mais ils ont eu une grande influence sur mon travail.»