Tiger Lillies / Martin Tulinius : Hamlet est un cabaret
Leur musique brechtienne et burlesque est depuis toujours considérée comme «théâtrale». Il ne fallait qu’un pas pour que les Tiger Lillies osent carrément faire du théâtre musical, et pas le moindre: la Cinquième Salle accueille leur adaptation d’Hamlet mise en scène par le Danois Martin Tulinius.
C’est lui qui a eu l’idée. Directeur artistique du Theatre Republique, une importante institution de Copenhague, Martin Tulinius a toujours eu l’intuition que la musique des Tiger Lillies se marierait à merveille à la tragédie d’Hamlet, avec ses spectres vengeurs et sa folie feinte. «On dit parfois que la musique des Tiger flirte joyeusement avec le macabre. J’ai le sentiment que cette musique évoque profondément l’aura d’Hamlet, mettant en relief les versants sombres de l’âme humaine. La vengeance, la traîtrise, l’inceste et les tentations suicidaires que l’on retrouve dans Hamlet à différents niveaux sont tous présents en filigrane de la musique des Tiger Lillies, et je pense que Martyn Jacques (premier leader de la formation) est capable de poétiser tout ça magnifiquement.»
Le musicien au visage fardé de blanc, aussi British soit-il, ne connaissait toutefois pas grand-chose de l’histoire du prince du Danemark quand le metteur en scène l’a approché. Mais dès le travail amorcé, et une fois que furent jetées les bases d’un univers très cabaret allemand, les Tiger Lillies ont pris leurs aises dans les interstices du texte de Shakespeare, qu’ils ont transformé en chansons et auquel ils ont ajouté poésie, symbolique et humour noir.
«Il y a une infinité d’intrigues dans Hamlet, précise Martin Tulinius. C’est l’histoire du prince du Danemark voulant venger son père et éloigner sa mère des griffes de son oncle Claudius, mais c’est aussi l’histoire de cette mère, Gertrude, et celle de l’amoureuse candide, Ophélie, et celle du tempérament changeant d’Hamlet, comme c’est l’histoire de la rivalité entre le Danemark et la Norvège. Et ainsi de suite. Pour les besoins du théâtre musical, on s’est contentés de représenter les intrigues principales, de tracer un chemin dans le cœur battant de l’œuvre.»
Ainsi, cet Hamlet version Tiger Lillies se concentre beaucoup sur l’enjeu de la folie du jeune prince, qui tarde à accomplir sa vengeance et expérimente une série de bouleversements existentiels. «Ses propres sentiments lui sont confus et il n’est pas en mesure de voir clairement le monde à cause de ses émotions changeantes. Dans la scène où le spectre de son père lui apparaît, on a notamment choisi d’utiliser la voix d’Hamlet fils, pour laisser croire à une forme de schizophrénie et pour représenter son espace mental foisonnant. Mais le mystère demeure et ce sera au public de déterminer si Hamlet est fou ou s’il ne fait que feindre la folie.»
Le cas d’Ophélie, qui bascule également dans la folie, est traité différemment, par le biais d’un jeu physique puissant, «apte à souligner les nuances psychologiques» et «accentué par la musique». «On est restés au plus proche de l’idée d’un amour fou qui mène au suicide», explique Martin Tulinius.
Pour assurer la fluidité et «donner une touche encore plus singulière à l’expérience», Tulinius a offert à Martyn Jacques le rôle d’un maître de cérémonie, mi-narrateur mi-commentateur ironique. Les Londoniens, semble-t-il, ont particulièrement apprécié l’idée.
Du 12 au 18 novembre à la Cinquième Salle de la Place des arts