Tribus : La langue est une arme pas comme les autres
Scène

Tribus : La langue est une arme pas comme les autres

Une impeccable équipe de comédiens campe une famille tendue chez qui le flux de paroles étourdissant n’aide en rien à créer une harmonie entre ses membres, et encore moins à inclure dans leur dynamique le fils cadet, sourd de naissance. Frédéric Blanchette rend honneur au texte et aux multiples facettes, nuances et subtilités de la communication comme de la langue qu’il porte, dans une mise en scène qui en souligne les nombreux thèmes. 

Et il y a bien plus à découvrir dans le texte de Nina Raine. L’auteure a imaginé l’histoire de Billy (David Laurin), un sourd de naissance dans une famille entendante, à qui l’on a appris à lire sur les lèvres et à parler afin qu’il maîtrise la langue traditionnelle. De peur d’un abrutissement qu’ils croient inévitable s’il apprend le langage des signes, qui le mènerait à s’isoler dans un cercle restreint d’individus, ses parents (Monique Spaziani et Jacques L’Heureux) souhaitent qu’il puisse s’intégrer «normalement» à la famille et au monde qui l’entoure. Mais voilà, Billy ne peut capter tout ce qui se dit entre les quatre murs de la maison familiale, tant les paroles se succèdent à une vitesse folle, paroles souvent blessantes, vulgaires, réductrices, cherchant à hiérarchiser les membres de la famille les uns par rapport aux autres. La langue est ici autant une arme qu’un outil de communication. Billy réalisera qu’il ne la maîtrise finalement que pour écouter et non se faire entendre. Il semble le seul à l’écoute aux changements d’humeur inquiétants de son frère (Benoît Drouin-Germain) et aux aspirations artistiques de sa sœur (Catherine Chabot), en plus d’être sensible au non-verbal, sensibilité souvent lourdement absente au sein du clan familial.

La rencontre avec Sylvia (Klervi Thienpont) devient un point tournant dans la vie de Billy. C’est la découverte d’un univers où il est possible de s’exprimer différemment qu’avec les mots qui s’ouvre pour lui, alors que la jeune femme le familiarise avec la langue des signes. Tandis qu’il s’émancipe dans cette romance inespérée et dans la communauté sourde, Billy ne trouve pas chez sa famille l’ouverture d’esprit souhaitée. Ses proches seront affectés par sa décision de s’éloigner d’eux et de la langue qu’ils se sont acharnés à lui enseigner.

Frédéric Blanchette parvient à créer une délicieuse dynamique entre les personnages, qui jamais ne s’essouffle ou diminue en intensité, qu’elle soit dramatique ou humoristique. On se surprend à vouloir décrypter les signes et à les associer aux mots (l’assistance semblait littéralement retenir son souffle lors des passages en langue des signes), bref, à vouloir comprendre cette langue qui respire et qui possède une poésie bien propre à elle. Le choix judicieux de placer la scène au centre de la Grande Licorne invite à l’écoute des mots, des silences, à faire partie pour un instant de cette famille dure mais attachante.

Tribus explore également les règles, codes et croyances à l’intérieur d’un groupe, de l’influence et de l’emprise qu’il peut exercer sur les individus. La mission est réussie pour LAB87, dont l’un des mandats est d’offrir un théâtre contemporain innovateur et accessible. Avec Tribus, un théâtre où la fraternité et le travail acharné ont visiblement été des rouages de cette création nous est offert, au grand plaisir du spectateur prêt à être à l’écoute des avenues possibles des mots sous toutes leurs formes.

À La Licorne jusqu’au 29 novembre