Futur intérieur : Cosmologie de l’infini
Astronautes de l’infini ou explorateurs des vertiges identitaires, Francis Monty, Olivier Ducas et les inventifs créateurs du Théâtre de la Pire Espèce utilisent le théâtre d’objets pour tenter une aventure de science-fiction et de théâtre d’anticipation interstellaire.
Chefs de file québécois du théâtre d’objets, notamment grâce à leur spectacle Ubu sur la table qui a connu 15 ans de représentations partout dans le monde, Francis Monty et Olivier Ducas ont depuis longtemps exploré d’autres sentiers que le théâtre d’objets sur table et s’amusent désormais avec leurs tasses ou leurs bols à soupe dans de plus vastes espaces scéniques. Futur intérieur, en tentant d’inventer un espace intergalactique infini, représente peut-être une forme de quintessence de ce qu’ils inventent depuis plusieurs années: un théâtre qui utilise le plateau complet comme lieu de réinvention des objets du quotidien et comme espace de poétisation de petits accessoires ou même de matières visqueuses. Au sommet de leurs ambitions: raconter de bonnes histoires et interroger les modes narratifs. Rien d’étonnant dans le fait de les voir s’attacher aujourd’hui à la science-fiction et à la fable futuriste, des univers narrativement féconds au cinéma mais peu exploités au théâtre. Comptez sur eux pour s’y lancer sans retenue, armés d’un regard poétique et d’une volonté de transformer l’aérospatiale en un haut lieu métaphorique.
Mettant en scène un trio d’astronautes en combinaison orange qui atterrissent dans un espace non identifié, ils veulent poser la question de l’infini et des réalités possibles, ou méditer au sujet de l’irrationnel et des territoires imaginaires illimités qui sont à notre portée. «On voulait travailler sur les archétypes du voyage spatial, explique Olivier Ducas, et donc sur l’imagerie aérospatiale, mais aussi sur la thématique du clonage. L’idée est de trouver une incarnation théâtrale à tout ça. On ne peut pas rivaliser avec le cinéma pour les effets spéciaux, mais on peut utiliser les codes de la science-fiction pour créer des images théâtrales puissantes.»
Explorer l’inconnu et l’immensité est la première mission qui a été donnée aux comédiens Mathieu Gosselin (également coauteur), Etienne Blanchette et Alexandre Leroux. Mais leurs pérégrinations intersidérales évoquent aussi des vertiges existentiels profonds. «Les trois personnages s’appellent Robert, explique Francis Monty. Ce sont peut-être des clones, ou peut-être pas – la question demeurera sans réponse. Ils sont acteurs-conteurs, dans une forme de théâtre-récit, et ils sont plongés dans un questionnement sur leur identité. Être ainsi face à l’immensité, comme s’ils étaient les derniers hommes dans l’espace, les plonge dans un trouble intérieur. Le spectacle crée un dialogue entre cette intériorité et le choc avec le monde extérieur, avec la mission spatiale dont les contours demeurent flous, à l’image d’une existence pleine de questions sans réponses. À partir de là, le spectacle devient métaphysique. J’aime bien dire que ce sont des questions métaphysiques abordées avec désinvolture et poésie. Ces trois hommes clonés, on le suppose, ne savent plus vraiment qui ils sont et à quel espace ils appartiennent.»
Identité et poésie
Comme souvent, La Pire Espèce fait dans la métathéâtralité, «comme si, disent-ils, l’infini exploré par ces clones-astronautes était une scène de théâtre sur laquelle ils atterrissent en se demandant où ils sont et quelles sont les possibilités d’un tel espace». Mais la joyeuse bande puise aussi dans l’imaginaire poétique québécois, notamment dans certaines références à Gauvreau, Godin et Miron, «pour ouvrir un espace culturel à l’intérieur de la crise identitaire vécue par ces astronautes lorsqu’ils se confrontent à l’inconnu».
«Face aux grands mystères et aux angoisses qu’on porte, dit Olivier Ducas, on se réfugie souvent dans l’imaginaire et dans la poésie. Même les scientifiques le font quand ils flirtent avec des théories abstraites. Je pense que par la bande, on s’intéresse aussi à la question de l’identité nationale par le biais de la langue parlée par ces astronautes, mais aussi en faisant une œuvre de science-fiction à notre manière, sans se soucier du fait que le genre appartient dans l’inconscient collectif au cinéma américain.»
«On est tout de même allés, précise Francis Monty, vers une certaine fluidité cinématographique, vers une narration qui s’inspire du montage cinématographique pour faire des ellipses qui seront parfois un peu brutales, disons pour embrasser un espace-temps très vaste, que l’on survole en faisant des arrêts sur images. Il y a l’idée d’un puzzle galactique, d’un enchaînement de fragments et d’un jeu avec les perspectives narratives. Ce sont, au fond, des morceaux choisis d’une très longue histoire intergalactique. Il y a un certain souffle cinématographique à travers tout ça.»
Le 23 novembre à 13h dans le cadre du festival Coups de théâtre, puis du 25 novembre au 13 décembre au Théâtre Aux Écuries
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À voir jusqu’au 23 novembre au festival Coups de théâtre
Depuis le 16 novembre, les tout-petits envahissent les salles de l’Usine C, du Conservatoire ou du Monument-National pour assister aux représentations du plus polyglotte des festivals de théâtre jeune public au Québec. Les Coups de théâtre proposent notamment cette année un regard sur la création flamande avec la présence de la compagnie Zonzo et son spectacle Écoute le silence, un voyage avec John Cage. «Jongleries acoustiques et acrobaties visuelles» sont de la partie. Il est aussi encore possible d’attraper quelques représentations de Bouffe, un spectacle ludique et critique du Théâtre populaire d’Acadie, qui s’inquiète de «la logique absurde et détraquée du système alimentaire». On jettera un œil aussi à L’histoire du grillon égaré dans un salon, de Claudie Gagnon (Théâtre des Confettis). On est aussi curieux de découvrir Impatience, un «portrait poétique et sonore de trois adolescents qui se projettent dans l’avenir et de deux adultes qui se rappellent leur adolescence».