Damnatio memoriae : Du dubstep et des jeux
Témoin historique, opéra-rock, pièce burlesque, l’inclassable Damnatio Memoriae de Sébastien Dodge fait revivre la longue chute de l’empire de Rome à partir de la fin du règne de Commode dans un improbable et drolatique mélange de genres.
La plus récente création du Théâtre de la banquette arrière a toutes les chances de déstabiliser un public venu assister à une fresque historique classique. Il n’y a pas d’inexactitude dans les faits ni de maladresse à en présenter la violence et l’absurdité. C’est plutôt que la mise en scène orchestrée par l’auteur surprend avec la justesse de l’historicité traduite en figures et personnages grotesques, en bouffonneries à n’en plus finir, en d’innombrables combats et meurtres, en passant par un emprunt au langage familier et à la musique actuelle. Commode et son entourage sont crus, vulgaires, niais ou cruels. Ils ont tout ce qu’il est possible de posséder mais s’ennuient à mourir. C’est d’ailleurs par désir de rire, d’être diverti et distrait de ses pensées sombres que Commode prie son garde d’éliminer certains d’entre eux, désir qui se réalisera et entamera une descente aux enfers pour chacun d’entre eux. Y compris l’empereur.
Commode et ses successeurs représentés de façon extravagante et improbable se transforment aussitôt le trône accédé en être perfides et sanglants. Pas de doute, c’est bel et bien de violence et d’aliénation par le pouvoir, d’appât du gain et de sordides erreurs répétées par l’humain dont il s’agit. Propos qui sont parfois dissous sous des couches épaisses d’éléments de mise en scène, qui ne manquent pas de se multiplier et qui brouillent l’essence du texte, qu’on sent qu’il a bien plus à dire que ce qu’il est possible d’en saisir. Texte qui est d’ailleurs d’une densité et intensité remarquables mais qui se perd dans cet amalgame d’expérimentations quelque peu confus et discordant. Malgré cela, il est bien difficile de reprocher à Damnatio Memoriae de ne pas avoir exploré et tenté de façon audacieuse, éclatée et somme toute réussie de présenter ce cycle infernal et récurrent du désir de pouvoir dans lequel l’humain s’accroche.
On assiste à des moments jubilatoires, comme l’arrivée des syriens ou cette comédie musicale ou opéra-rock qui résume simplement tous les règnes depuis Commode vus précédemment. Tous les styles musicaux y passent : ballades pop-rock, dubstep, rap et rock indigeste, pour ne nommer que ceux-là, avec des chorégraphies énergiques en continu qui rappellent d’insupportables émissions télévisées qui veulent en mettre plein la vue à défaut d’avoir un contenu riche. Comme quoi l’abrutissement collectif est une constante en société, peu importe les époques qu’elle frôle.
Damnatio Memoriae ne parviendrait pas à être aussi efficace sans les comédiens et comédiennes qui rendent cette pièce «historico-gore-burlesque» bien vivante. Car il faut entre autres une sacrée énergie pour camper l’étendue des rôles et intentions qu’elle comporte en plus du jeu très physique qu’elle requiert. Un travail collectif colossal du Théâtre de la banquette arrière qu’on devine s’être fait dans le plaisir et dans une lecture rigoureuse de ce tout nouveau texte haut en couleurs, culotté et original de Sébastien Dodge.