2014 Revue et Corrigée : Le talent remarquable d'un humour officiel
Scène

2014 Revue et Corrigée : Le talent remarquable d’un humour officiel

Le bilan de l’année du Rideau Vert est, comme toujours, remarquable dans la qualité de production et quelque peu prévisible dans son ton éditorial. Un succès inévitable. 

C’était une maison paquetée à la première de 2014 Revue et Corrigée au Théâtre du Rideau Vert. On y trouvait de nombreuses élites locales telles que Marc Cassivi, Lisa Frulla, Nathalie Petrowski, Janine Sutto, Jean-François Lisée et notre maire, Denis Coderre. Si une critique théâtrale ne doit pas s’intéresser, traditionnellement, aux invités mais plutôt à la qualité seule de la production, une œuvre ne peut pas nécessairement être prise hors de son contexte. Ce public spécifique là, il faut le considérer: comme public cible d’une œuvre ressemblant au loufoque vaudeville des Bye-Bye, Revue et Corrigée a parlé aux figures d’autorité présentes dans la salle, mais sans trop mordre, quand même.

Le quatrième mur est d’ailleurs tombé tandis que Martin Héroux était déguisé en Denis Coderre dans le cadre d’une chanson sur les travaux routiers de la métropole. Le maire théâtral s’est d’ailleurs acoquiné avec le maire réel pour prendre un double-selfie dans l’hilarité collective. Le selfie, d’ailleurs, servait de mot-clé pendant la représentation, une chute relativement redondante mais toujours efficace auprès d’une foule conquise par des vieilles madames qui découvrent Facebook sur scène.

Le Théâtre du Rideau Vert est chargé d’Histoire, qui se présente un peu comme la chronologie officielle d’une petite famille humble et celle d’une certaine royauté, simultanément. On entre ici dans une certaine tradition, où les malhonnêtetés libérales sont critiquées dans leurs fonds idéologiques tandis que les travers péquistes sont généralement présentés en surface, avec les bines sur l’épaule qu’on réserve à la famille proche. Si on se réfère longtemps et explicitement à l’austérité libérale, on aborde avec une certaine tiédeur et timidité la question de la charte péquiste, en présentant le compte rendu d’un voyage à Montréal effectué par les Pineault-Caron.

En parlant de famille péquiste, l’un des moments forts, voire sublimes, de la soirée, est l’imitation de Pauline Marois par Suzanne Champagne: une interprétation remarquable, toute en tendresse et en familiarité, qui présente avec le sourire qu’on connaît de la grande dame toute la violence et l’hypocrisie entourant sa défaite et son retrait spontané d’une vie politique qu’elle a marquée et influencée avec sa force unique. C’était un discours d’adieu plus probant que celui auquel on a eu droit après la triste soirée d’élections.

Il est fascinant, d’ailleurs, de mesurer les réactions de la foule face aux sketchs présentés: attaquer PK Subban ou le Canadien ne méritera pas d’applaudissements nourris, Pauline Marois inspirera des réactions vives de la foule à qui elle manque visiblement. Sugar Sammy sera reçu avec une certaine hostilité (moins grande que celle réservée à Stephen Harper ou Justin Trudeau), tandis qu’on ne saura pas nécessairement comment interpréter le combat de coq entre Denis Lévesque et Eugénie Bouchard qui, avec un accent anglophone, vante sa réputation internationale et sa force de caractère auprès de la figure de marque de la télévision québécoise. Le sketch place la joueuse de tennis sur un piédestal, et le public ne sait pas trop comment le prendre. Préfère-t-on une jeune fonceuse anglo ou un homme ordinaire bien de chez nous?

Si les blagues sont formelles, parfois prévisibles, souvent présentées au premier degré, efficaces et nombreuses, les performances, elles, tiennent du prodige. Le charisme de Suzanne Champagne n’égale que sa présence nourrissante: capable de soutenir un comédien lors d’une performance comme de dominer complètement la scène, sur commande. Benoît Paquette, imitant Pierre Lapointe, Jean Airoldi et Sugar Sammy, entre autres, est efficace et incisif. Marc St-Martin est clairement un favori, interprétant avec une précision remarquable des figures mythiques comme Ginette Reno et Micheline Lanctôt dans Unité 9. Julie Ringuette, en Céline Dion ou Marie-Mai, révèle un charisme spectaculaire qui aurait sa place au Centre Bell. Talent de comédien également indéniable pour France Parent et Martin Héroux.

Et si les comédiens sont remarquables individuellement dans leurs portraits de nos vedettes, ils forment également un groupe cohérent et bien huilé, capable d’enchaîner chorégraphies, chants, changements de costumes et autres complexités scéniques avec une grâce qui se traduirait à peu près de façon identique dans un montage serré pour la télévision. Une direction efficace, rythmé et impeccable qu’on doit à la mise en scène d’Alain Zouvi.

Si on est parfois curieux de savoir comment l’Histoire officielle s’écrit, la représentation de Revue et Corrigée en est l’exemple parfait. Il s’agit d’un discours critique mais officiel, incisif mais de bonne guerre, drôle mais relativement prévisible, impeccable techniquement, rassembleur mais limité dans l’audience à qui ce discours est adressé.

Au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 4 janvier 2015

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Crédit photos:  François Laplante Delagrave.