Jean-Philippe Baril Guérard / Tranche-cul : Excuse-moi, mais…
Tranche-cul, dernière pièce en date du comédien, metteur en scène et auteur Jean-Philippe Baril Guérard, est à l’image de son titre: d’abord, c’est drôle, ça fait sourire. Puis, quand on y pense, ça laisse une drôle d’impression. Même que ça doit être un peu inconfortable, un tranche-cul…
Tu me demandais mon avis honnête / Faque si tu voulais pas l’entendre / T’avais juste à pas me le demander
Difficile à contester, non? Facile à dire, facile à comprendre. Et pourtant, c’est tout de même un peu… retors? À la fois sincère et de mauvaise foi, cruel et bienveillant. Avec Tranche-cul, qui occupera Espace Libre en décembre, le jeune auteur Jean-Philippe Baril Guérard met en scène des personnages et des propos, mais surtout une façon de dire et de penser.
«J’ai commencé à écrire des scènes, des tirades. Après en avoir écrit trois ou quatre, j’ai vu un motif apparaître: des gens qui décident de mettre les points sur les i, de faire part de leur ras-le-bol. Ils le font de manière aussi efficace que terrible.»
C’est un acte de violence gratuit, presque banal, qui lance le bal. Quelqu’un se permet d’être méprisant et d’imposer brusquement son envie du moment, ses goûts personnels. Son geste reste impuni, ou plutôt incontesté. Il n’y a personne pour invalider la méthode, remettre en question les motifs, élever le débat.
«Ceux qui lui emboîtent le pas sont des personnes ordinaires qui expriment de façon claire une opinion bien arrêtée en étant convaincus non seulement qu’ils ont raison, mais aussi qu’ils ont raison de le dire! Que c’est pour le bien de leur interlocuteur et de la société, voire de la race humaine.»
Les sujets sont souvent délicats et d’actualité – multiculturalisme, consentement, équité en matière d’emploi, accès aux soins de santé, valeur de l’art et des vies humaines –, mais au-delà de ce qui agite ses contemporains, c’est davantage la façon dont ils en débattent qui intéresse l’auteur.
«Je ne voulais pas tenir un discours et qu’on « vide » un sujet en particulier, mais plutôt qu’on perçoive la manière dont se déploie et s’exprime la pensée de ces personnes. Je me suis intéressé à l’étrange définition qu’on s’est donnée de la liberté d’expression, à une époque où règne l’opinion et dans une société où les débats sont souvent dominés par celui qui maîtrise le mieux les sophismes et les raccourcis intellectuels.»
Adeptes d’une étrange philosophie qui ressemble à la loi du plus fort – «un darwinisme tordu» –, les interlocuteurs ne sont pourtant pas tous des idiots ou des rednecks. Le spectre est large entre la radio-poubelle et l’argumentaire éclairé… Et pour la majorité des intervenants, le tout se fait sous le couvert de la civilité et d’une apparente ouverture au dialogue qui n’est pas étrangère aux façons de faire québécoises.
«Ce serait inintéressant de regarder un défilé de débiles qui tiennent des discours aberrants pour pointer du doigt des coupables ou des idéologies. Les sophismes sont séduisants, on a tous des ras-le-bol personnels: l’intérêt de regarder aller des personnes aussi sincères dans leurs discours extrêmes, c’est de mesurer où on se situe par rapport à eux en tant qu’individu et en tant que société. Je voudrais que le spectateur ait à juger du moment où il n’adhère plus à ce qui est dit, qu’il rit, parfois jaune, parfois franchement, et s’en inquiète.»
En laboratoire, la structure de l’œuvre et le choix des interprètes ont soulevé des questionnements importants: l’enchaînement des scènes, le genre, l’âge, la couleur de la peau, le ton des interprètes, influencent la perception que l’on a de l’interlocuteur, surtout avec des propos aussi tranchants.
«On marche sur les limites. Il faut faire attention de ne pas faire tomber les personnages dans des catégories qui enlèveraient toute nuance. Mais je veux tout de même obtenir un effet « rouleau compresseur » marqué, du manque de sensibilité bénin et plutôt comique vers la déresponsabilisation, et même plus. Montrer que la pente est glissante entre le cynisme, le désengagement, le manque d’empathie, la condescendance et la cruauté.»
Du 4 au 20 décembre à l’Espace Libre