Prismes : Un chatoyant ballet de couleurs
Scène

Prismes : Un chatoyant ballet de couleurs

Jouant sur la perception et proposant un chatoyant banquet de couleurs dans Prismes, pièce lauréate du Prix de la meilleure chorégraphie remis par le Conseil des arts et des lettres du Québec, Benoît Lachambre offre une expérience visuelle et sensorielle de haut niveau.

Jaune bouillant, vert lime, rouge écarlate. Dans Prismes, la scène est baignée de couleurs et les corps sont teintés de lueurs vives.

Ce spectacle passionnant, réalisé en étroite collaboration avec la brillante conceptrice d’éclairages Lucie Bazzo, interroge les sensations liées à notre perception des couleurs et de la lumière, flirtant ainsi avec les mystères des interrelations entre les sens et le cerveau.

En faisant évoluer ses danseurs devant un immense tulle éclairé de couleurs vives, évoluant d’une teinte à l’autre, mais aussi devant des panneaux où d’autres températures de couleur sont explorées, Benoît Lachambre raconte aussi la perception du corps humain à travers des poses plastiques (ou sculpturales) qui défient la notion de genre, comme il décortique le muscle et l’ossature, nous les faisant voir dans le détail. Effets d’optique et de lumière concordent à déplacer notre regard et à envisager l’humanité et son environnement à travers un regard neuf et émerveillé, cultivant en nous une vive curiosité pour les phénomènes physiques et mentaux qui influencent notre perception du monde.

Parfois proche de l’esthétique très plastique de Robert Wilson (notamment Einstein on the beach et Pelleas et Mélisande), avec ses compositions visuelles sur fond bleu vif et ses corps raides et marionnettiques, Prismes s’amuse aussi à jouer avec la notion d’échelle, cultivant les contrastes entre l’horizontalité et la verticalité.

Notre rapport aux couleurs est-il primitif, pulsionnel, ou est-il le fruit d’une macération complexe des ambiances lumineuses dans nos cerveaux? Devant toute cette lumière pigmentée, réagissons-nous de manière rudimentaire ou sophistiquée? Le spectacle explore les deux pistes de réponses, invitant d’abord les corps baignés de lumière à des comportements primitifs, les représentant comme des macaques agiles qui s’agrippent, grimpent les échafaudages, se suspendent, se raidissent, se courbent ou tentent de toucher les hauteurs avec la prestance du mammifère. À l’opposé, la gestuelle se fera par moments subtile et détaillée, à travers des mouvements amples, et plus tard à travers une délicate danse du muscle. La peau frémit et se transforme selon les couleurs projetées sur elle:  notre regard s’y concentre alors que s’y dévoile, par une lumière très localisée, dans un effet quasi radiographique, quelques bribes d’ossature en mouvement ou de biceps au travail.

Tout cela évoque aussi par moments la quête de transcendance, le désir de sublimation ou d’envol: que les corps soient portés par l’animalité ou par une énergie plus civilisée, ils évoquent toujours un certain sens du sacré ou du mystique.

Quand la lumière happe les vêtements, les tissus prennent des textures cotonneuses ou soyeuses, selon les cas, se creusant et s’arrondissant selon les ombrages. S’en dégage une folle féminité, contrebalancée par les corps masculins vêtus de vêtements de pompier ou d’uniformes de travailleur de la construction.

Lachambre questionne par là les stéréotypes d’appartenance aux genres – tentant de sonder, au-delà de la perception des couleurs et de l’envrionnement, les sensations reliées à la perception des identités et du genre. Mais c’est l’aspect le moins réussi du spectacle, greffé là un peu artificiellement et pourtant de manière fort insistante, à mesure que la trame sonore s’embarrasse de bruits de marteaux-piqueurs ou de scies mécaniques. Pareil pour la scène où des danseuses aux mamelons lumineux s’exécutent sur une musique vaguement disco. On sent que le chorégraphe institue une réflexion sur l’image sexuelle féminine, interrogeant la représentation, l’illusion, l’artifice, la fabrication. Mais cela apparaît un peu parasitaire dans l’expérience autrement hyper-stimulante du ballet des couleurs.

Voilà qui est tout de même vite pardonné.

À la 5e salle de la Place des Arts jusqu’au 6 décembre
Une présentation Danse Danse et Montréal Danse