Dany Desjardins / Winnin’ : Tyrannie de la supériorité
Danseur athlétique et rigoureux, sollicité par la crème des chorégraphes montréalais, Dany Desjardins crée aussi depuis quelques années une œuvre personnelle qu’il danse la plupart du temps en solo. C’est le cas de Winnin’, exploration protéiforme du désir de supériorité qui anime l’humain contemporain.
Dans une certaine frange de la culture hip-hop, l’imagerie du winner est survalorisée, à travers une culture de la gloire à tout prix et de l’arrogance comme modèle d’interaction avec ses semblables. S’il y a certes un peu d’ironie à travers cette suffisance très fabriquée, elle n’en est pas moins révélatrice d’un besoin de supériorité qui serait, selon ce qu’observe Dany Desjardins, intrinsèque à notre humanité. Il ne cherche pas à représenter précisément l’attitude très codifiée des rappeurs américains, mais il s’en sert comme arrière-plan à une réflexion sur les rapports de pouvoir et l’obsession de l’imagerie du succès.
«J’interroge, dit-il, l’idée de vouloir être gagnant à tout prix et trop facilement, souvent au détriment de toute profondeur. Est-ce que c’est le regard des autres qui nous fait nous percevoir comme gagnants? Est-ce que c’est une question d’attitude? Est-ce qu’on se donne soi-même ce pouvoir? Est-ce un pouvoir qu’on nous confère mais qu’on ne sait pas gérer? Quelle est cette manie, très contemporaine, de placer les gens sur un piédestal, dans une position de supériorité par rapport à leurs semblables? Pourquoi sommes-nous toujours à la recherche d’un manitou, de figures tutélaires, de héros grandioses?»
Puisant autant dans les danses urbaines que dans un langage contemporain, flirtant aussi avec le jeu et le chant, Dany Desjardins prépare un spectacle rythmé et hachuré dans lequel il explore différentes dynamiques de pouvoir. «C’est une exploration des rapports de force et de domination, de manipulation de l’autre, qui nous sont naturels. On cherche toujours à avoir le pouvoir sur les autres, mais aussi sur son environnement et sur soi-même. J’ai d’ailleurs voulu que la structure chorégraphique me laisse une certaine forme de pouvoir, mais qu’elle en laisse aussi aux spectateurs. La danse urbaine, qui est souvent basée sur une certaine confiance en soi, sur une certaine promotion de soi, me fournit un territoire d’exploration très fertile.»
Être winner, c’est aussi adhérer aux tendances et aux attitudes ambiantes, dont le caractère gagnant est défini par des conjonctures imprévisibles et difficiles à circonscrire: des courants pourtant indéniablement attrayants qui nous happent tous au passage. «Le rapport au hype est une chose qui me fascine, explique le chorégraphe. On a tendance à survaloriser des tendances, des biens de consommation, des mouvements artistiques, des manières de penser qui deviennent à certains moments plus winner que d’autres. Tout cela s’établit par une sorte de force collective inconsciente, plus grande que soi, difficile à circonscrire, mais je tente de l’identifier à travers le spectacle.»
Dans une chorégraphie conçue en étroite relation avec la trame sonore de Jacques Poulin-Denis, Dany Desjardins montrera à tous qu’il est un véritable winner. Ou pas.
Du 9 au 13 décembre au Théâtre La Chapelle