Yellow Towel / Entrevue avec Dana Michel : Par-delà les archétypes
Scène

Yellow Towel / Entrevue avec Dana Michel : Par-delà les archétypes

À Vienne, au prestigieux festival ImPulsTanz, la chorégraphe montréalaise Dana Michel a été lauréate d’un prix créé spontanément pour elle à cause de la singularité de son travail. Elle reprend ces jours-ci le solo Yellow Towel, créé au FTA. Un étrange et envoûtant parcours des stéréotypes de la culture afro.

«Un spectacle révolutionnaire.» «Un délire décalé.»

Voilà ce qu’on pouvait entendre en mai dernier au sujet de Yellow towel, l’une des plus belles surprises de la dernière édition du Festival TransAmériques, où le travail de Dana Michel a rencontré pour la première fois un public très vaste et obtenu une attention médiatique méritée mais qui se faisait attendre. On connaît la suite: l’Autriche a aussi succombé aux charmes de la danseuse et chorégraphe montréalaise, lui inventant un prix et lui offrant soutien et résidences de création (comme d’autres institutions européennes qui l’accueillent à bras ouverts). 

Elle a souvent travaillé la notion de genre, explorant ses propres tiraillements entre les identités féminines et masculines. «Sans doute est-ce encore présent dans mon travail, dit-elle, même si ce n’est plus le point dominant.  Je me sens désormais libre de définir ce qui, à mes yeux, correspond au masculin et au féminin et, surtout, de flirter avec les deux pôles de manière décomplexée et affranchie.»

Son rapport avec la culture afro, toutefois, n’est pas aussi clair. Yellow Towel se joue des stéréotypes de la négritude, explorant notamment l’imagerie des publicités Banania ou les clichés associés aux danses africaines. Dana Michel s’y confronte à travers une démarche identitaire, se demandant si ces archétypes et caricatures lui correspondent, de près ou de loin.

«La recherche, explique-t-elle, a commencé en réponse à un sentiment de doute par rapport au fait que je suis souvent catégorisée comme artiste noire, peu importe le travail que je fais. En approchant mon travail, les journalistes et les observateurs de la danse contemporaine évoquent  souvent la danse noire ou la danse urbaine. Je comprends d’où viennent ces observations, mais c’était difficile pour moi et ça me paraissait réducteur car j’ai toujours délibérément évité de prendre des cours de danse africaine ou de hip hop. C’est comme ça que j’ai eu envie de créer ma propre danse noire, de plonger entièrement dans ce questionnement sur la culture afro qui me définit, que je le veuille ou non.»

C’est également une pièce teintée d’un état d’esprit enfantin et d’un certain ludisme, qui convoque à tout le moins une certaine naïveté, celle de l’enfant dont le regard est vierge de tout jugement et de toutes limites, dans un mélange de candeur et d’assurance. L’anecdote qui a enclenché la création est d’ailleurs issue de l’enfance de Dana Michel et d’un poème qu’elle a écrit au sujet de la serviette jaune qu’elle mettait sur sa tête, petite, pour faire croire qu’elle avait de longs cheveux blonds.

«À partir de là, dit-elle, j’ai creusé les sentiments éprouvés à l’enfance au moment où j’ai compris qu’être noire avait toutes sortes d’implications, quand j’ai commencé à me percevoir comme différente, puis quand j’ai commencé à l’assumer. Quand j’ai commencé à travailler sur cette pièce, j’étais d’ailleurs enceinte et cette pièce a grandi en même temps que mon fils.» 

 

 

Yellow Towel a également été conçu dans une certaine lenteur. Le rythme du spectacle pourra désarçonner les esprits pressés: Dana Michel est plutôt du genre contemplative. « J’ai un rythme assez lent, dit-elle. J’aime la répétition, j’aime observer les actions simples, contempler le monde même quand il ne bouge pas ou quand les choses sont mécaniques et dénuées de bouleversements. J’aime cette lenteur parce qu’elle est nécessaire pour arriver à une véritable intériorité, parce qu’elle permet le dépouillement qu’il faut pour laisser les choses venir à la surface. Je n’aime pas être dans une danse trop démonstrative ni trop illustratrice, d’ailleurs.»

Pas de contact visuel avec le spectateur, non plus. La chorégraphe y tient, parce que «la connection visuelle avec le spectateur est un travail important, qui ne peut pas s’improviser,  qui est très chargé, et qui n’était pas propice à cette exploration très personnelle de l’identité ». L’artiste se concentre sur elle-même donc, dans un ralentissement volontaire, et avec cette suspension de l’espace-temps vient un rapport d’une autre nature avec le public, qui ne passe pas par le regard mais prend des voies plus sensorielles.

Ça ne fait pas de Dana Michel une artiste complètement repliée sur elle-même. Elle se définit comme une «éponge» et se laisse imprégner de son environnement. «J’habite Centre-sud, raconte-t-elle, et je pense avoir aussi été beaucoup influencée, inconsciemment, par la faune urbaine assez colorée et marginalisée de ce quartier. Il y a là-dedans autant de beauté que de tristesse, qui sont poétiques mais qui, à la fois, m’ont fait sentir coupable parce que j’en tire un avantage. Je vis une sorte de plénitude artistique à travers la misère sociale et la marginalisation de ces gens-là – ce qui n’est pas très joli. Mais les questions que cela pose sont importantes, il me semble.»

Jusqu’au 6 décembre au M-A-I (Montréal arts interculturels)