La 4e édition du Jamais Lu Québec : Un bed-in pour résister à la fatalité
Depuis hier soir au Périscope, la 4e édition du Jamais Lu Québec bat son plein et les auteurs de la Capitale y dévoilent, sous différentes formes, leur soif de résistance et de révolution, radioscopant notre époque par le biais de prise de paroles assumées ou de récits intimistes. Discussion avec la directrice artistique Edith Patenaude et le comédien Marc Auger Gosselin.
«Le théâtre, cette année, est redevenu un refuge pour moi.» Ainsi s’exprime Edith Patenaude, qui raconte que son festival est une occasion de faire un pied-de-nez aux politiques d’austérité et de se rassembler pour résister. Le 4e Jamais Lu est une édition «bed-in», un moment pour se retrouver au chaud, ensemble, et réfléchir au modèle québécois qui s’écroule.
«Depuis quelques mois, dans ce contexte politique déprimant, je ressens très vivement la nécessité de se rendre dans une salle de spectacle, pour parler ensemble. Quand on est artiste de théâtre et qu’on voit énormément de spectacles, on peut perdre ça de vue, devenir blasés, trop critiques de ce que font nos pairs. Mais cette année, l’urgence de voir du théâtre, l’urgence du théâtre comme lieu de rassemblement, m’apparaît criante.»
Un Jamais Lu 100% Québec
Toujours associé au Jamais Lu Montréal mais désormais piloté entièrement à Québec par Edith Patenaude, le Jamais Lu Québec répond plus que jamais à un besoin dans le milieu théâtral de la Capitale. Parce qu’aucun happening du genre n’existait depuis la disparition de l’événement Impressions d’ici, les trois jours de lectures publiques et de soirées de prises de parole sont hautement fréquentées par les spectateurs de Québec, qui y entendront cette année des textes d’auteurs 100% locaux.
«Une identité de la ville de Québec se déploie à travers les textes, dit-elle. Il y a un désir d’affirmation qu’on a voulu faire résonner dans la programmation, pour faire écho à la parole prolifique des auteurs de Québec, car on a reçu 3 fois plus de textes que l’an dernier. C’est pour ça que cette édition est une édition Tout-Québec, même si le Jamais Lu demeure un festival qui cherche à créer des ponts entre Québec et Montréal et avec le reste de la francophonie. C’est une année particulière, plus chauvine, pour marquer le coup, mais dans l’avenir, rassurez-vous, on ne s’éloignera pas des objectifs internationaux et panquébécois du Jamais Lu.»
Une édition bed-in, aux yeux de la fougueuse comédienne, c’est un moyen de «fantasmer de nouvelles façons de résister, d’inventer de nouvelles révolutions québécoises, de faire du théâtre ancré dans le territoire, dans le tissu social».
Les voies de l’intimité
Or, dans cette édition, beaucoup d’auteurs y sont arrivés par l’intime. À l’envers d’un mouvement de théâtre très politique qui s’est installé au Québec dans les dernières années, la cuvée 2014 se retourne vers un théâtre plus intimiste, axé sur la cellule familiale, qui n’est pas pour autant désengagé: la famille y devient le symbole du monde, l’écrin dans lequel aborder des thèmes sociaux, dans lequel fomenter une résistance plus grande.
«Il est beaucoup question de deuil dans les textes, précise Edith Patenaude. La chose est abordée dans le rire comme dans la tragédie. Deuil du pays, deuil du père, deuil du couple dans sa forme actuelle, deuil de la jeunesse ou des rêves passés, deuil de l’imaginaire. Jocelyn Pelletier a écrit un texte sur les ravages de la nouvelle drogue, dans lequel est abordé une forme de retrait volontaire de la réalité, un abandon du réel, quitte à en perdre son intégrité physique. C’est le deuil mais aussi les petites morts, petites disparitions, petites destructions de différents mondes.»
Le texte de Marc Auger Gosselin et Simon Lepage, par exemple, dont les premières pages ont été lues hier soir (jeudi 4 décembre) dans le cadre de la soirée Accélérateur de particules, essaie d’inventer un nouveau cadre familial pour contrer la disparition des familles nucléaires, trop souvent déconstruites par les divorces. Sur un ton tragi-comique, ils racontent l’histoire de deux vieux amis désespérés de ne jamais trouver la bonne fille pour fonder une famille, qui décideront d’adopter un enfant ensemble.
«Les couples sont voués à l’échec, dit Marc Auger Gosselin. Tout est temporaire, remplaçable; l’amour s’effrite vite, la persistance n’existe plus. Simon et moi, on vient tous les deux de familles reconstituées, éclatées de partout. Faire un enfant au 21e siècle, en sachant qu’on risque de faire naître des familles toutes écartelées, est-ce vraiment une bonne idée? C’est la question qui a motivé l’écriture, et peu à peu, en discutant de tout ça, on s’est dit que l’avenir de la famille réside peut-être dans l’amitié. Si j’élève un enfant avec mon meilleur ami, en toute amitié, il y a plus de chances que cet enfant ait encore ses deux parents près de lui, dans l’harmonie, pour toute sa vie, qui si je me lance dans une famille avec ma future blonde, qui ne le sera peut-être pas pour longtemps… Attendre la bonne fille, c’est peut-être un luxe qu’on ne peut plus se permettre. L’amitié est beaucoup plus durable que les relations de couple, de nos jours.»
Voilà qui est à priori farfelu mais qui a le mérite d’être inventif. Et si on inventait de nouveaux modèles, au lieu de tout détruire et de désespérer. C’est un peu ce que racontent la plupart des textes du Jamais Lu 2014, si l’on en croit Edith Patenaude. «En gros les auteurs disent: on n’a pas à fonctionner dans la fatalité. On n’est pas obligés de sauter sur la première solution qui nous vient à l’esprit – le démantèlement – pour faire face aux défis du présent. Soyons plus imaginatifs, ramenons l’imaginaire dans nos moyens d’action. C’est un Jamais Lu vraiment lumineux, qui cherche des solutions.»
«C’est aussi pour ça, poursuit la directrice artistique, qu’on utilise le mot Révolution, qui fait un peu peur, mais qui correspond à ce qui est nécessaire en ce moment au Québec à cause de son caractère englobant. Une révolution, ça englobe toutes les sphères de la société, et en ce moment, le gouvernement libéral s’attaque à toutes les fondations du modèle québécois – rien n’est épargné, et l’ambiance est à la remise en question de tout et son contraire. Tout est sujet à tomber. On ne peut pas rester là sans rien faire ni rien dire.»
Au Théâtre Périscope jusqu’au 6 décembre