Les chroniques de St-Léonard / À table avec les Italo-Montréalais
Dans Les chroniques de St-Léonard, Steve Galluccio continue d’édifier le portrait tragi-comique d’une famille italo-montréalaise qui vit ses drames dans l’exacerbation. Ne quitte pas St-Léonard qui veut, y apprend-on dans un repas agité. Entrevue avec l’auteur.
VOIR: St-Léonard apparaît dans cette pièce comme un territoire mythique. Racontez-moi la place du quartier dans votre imaginaire, vous qui n’y avez pas vécu.
Steve Galluccio: «La plupart de mes amis et de ma famille y sont emménagés dans les années 1970. Les Italiens qui réussissaient à s’établir à St-Léonard avaient accompli, dans l’imaginaire de la communauté italienne, le rêve américain total. St-Léonard, avec ses immenses maisons en briques blanches et ses grands escaliers, faisait forte impression à l’époque. Saint-Léonard, ce sont aussi de grandes rues, plus larges que celles de la Petite Italie: une conception urbaine plus proche de celle de la banlieue que de l’esthétique architecturale montréalaise, mais qui faisait rêver les Italo-Montréalais.»
VOIR: La pièce repose sur l’idée que quitter St-Léonard, ça ne se fait pas, c’est une tragédie. Il y a quelque chose de tchekhovhien dans cette situation d’engluement dans le lieu de naissance. Qu’en dites-vous?,
Steve Galluccio: «Il est vrai que mes personnages sont un peu dans l’incapacité de quitter leur nid, d’entrevoir le monde en dehors des horizons limités du quartier. Ils se prennent de lassitude, mais sont tout de même chauvins, fiers de leur petit coin de monde, et continuent à rêver de le développer. Quand mes parents sont arrivés ici, ils avaient connu dans leur petit village du sud de l’Italie les bouleversements de la guerre et cherchaient simplement un peu de quiétude. Alors qu’ils n’avaient jamais quitté leur village, ils étaient en quête de stabilité et se sentaient soulagés de savoir qu’ils n’auraient pas à vivre une seconde fois un grand dérangement comme celui de l’immigration. C’est pour ça qu’ils ont du mal à comprendre que leurs enfants désirent aller vivre ailleurs. C’était bien assez difficile, pour eux, de s’enraciner dans une terre qui n’était pas la leur; ils ne voient pas l’intérêt de se déplacer à nouveau.»
VOIR: Dans vos pièces, la communauté italo-montréalaise est présentée comme très attachée aux traditions et assez conformiste. On vous reproche parfois d’ailleurs de la dépeindre comme une société passéiste. Qu’en dites-vous
Steve Galluccio: «Je ne vais pas cesser de montrer les Italo-Montréalais tels qu’ils sont. Il y a une certaine façon de faire et une certaine façon d’être chez les Italiens. Ils sont mélodramatiques; ils vivent leurs tragédies de manière exacerbée, en s’appuyant sur des valeurs traditionnelles, souvent, et sur la famille comme structure inviolable et assez rigide. Bien sûr, les familles d’aujourd’hui acceptent davantage que les enfants quittent la maison avant d’être mariés, et les enfants ont de nombreuses libertés qu’on accordait pas à ceux d’antan, mais il reste une majorité d’Italo-Montréalais qui cultivent un fort traditionalisme.»
VOIR: Vous n’êtes pas vous-mêmes partie intégrante de cette communauté. Est-ce ce qui vous permet de l’observer de cette manière?
Steve Galluccio: «J’ai effectivement vécu un peu à part de ce monde très réglé, à cause de mon homosexualité et de mon caractère rebelle, et aussi du métier d’artiste que j’ai choisi. Les Italiens de ma génération choisissaient rarement cette voie. Reste que j’ai vécu chez mes parents jusqu’à leur mort, donc jusqu’à un âge très avancé, ce qui est très traditionnel. Mais effectivement, j’ai une distance par rapport à cette culture, qui me procure sans doute un recul bienfaiteur pour l’écriture.»
VOIR: Un grand repas sert de structure à cette pièce; repas à travers lequel les personnages se dévoilent. De quelle manière cette structure rend-elle service à votre propos?
Steve Galluccio: «Je voulais écrire une pièce classique respectant la règle des trois unités, un huis-clos se déroulant en temps réel. Le repas de famille, pour les Italo-Montréalais, est un moment de rencontre idéal parce que la bouffe est au centre de leurs vies. Ça permettait aussi d’exploiter un penchant typique des familles italiennes, qui s’engueulent à table, puis se retirent en petits groupes dans la cuisine pour discuter en toute discrétion, sans que les autres entendent. Il y a ce double jeu dans le spectacle, souvent deux mélodrames se déroulant en même temps dans les deux pièces. Et ça permettait aussi une dramaturgie qui joue sur plusieurs fronts à la fois, parce que les Italiens vont du coq-à-l’âne, parlent de tous les sujets en même temps, dans trois langues à la fois. Ça offre la possibilité d’une grande diversité de types de paroles.»
VOIR: Le personnage de la grand-mère est un personnage particulier avec son franc-parler brutal. Comment l’avez-vous imaginée?
Steve Galluccio: «Je voulais qu’il y ait 3 générations sur scène, et elle représente la génération arrivée ici dans les années 1950, celle qui a connu la guerre. Elle est le ciment, le symbole de l’immigration italo-montréalaise, le personnage qui garde tout le monde soudé. On respecte, dans la famille, ses accomplissements et la capacité qu’elle a eue de bâtir un socle familial solide en Amérique. Il m’a semblé naturel d’articuler toutes les relations familiales autour d’elle et d’en faire le catalyseur de toutes les conversations.»
Au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 7 février