Dans la République du bonheur / Christian Lapointe / Théâtre du Trident : Noël en Floride
Scène

Dans la République du bonheur / Christian Lapointe / Théâtre du Trident : Noël en Floride

À la fois souper de Noël qui tourne au vinaigre et théâtre musical déglingué, autant que théâtre de voix aux contours angoissants, Dans la République du bonheur est une matière sous tension que Christian Lapointe met en scène dans la jubilation. Conversation.

Avec les comédiens David Giguère, Lise Castonguay, Ève Landry et Denise Gagnon (notamment), le metteur en scène Christian Lapointe se paie ces jours-ci un véritable party esthétique. Chez Martin Crimp, brillant auteur britannique et l’une des voix majeures du théâtre occidental contemporain, il est à son aise. Dans ce théâtre peu psychologique, où les personnages sont indéfinis et où la parole n’est pas toujours dialogue mais plus souvent récit ou voix anonyme, Lapointe retrouve des partis-pris qui ont toujours été les siens. Celui qui a écrit des pièces flirtant avec le symbolisme et avec un jeu d’acteur cérébral, tout comme des spectacles éclatés et performatifs, est pour ainsi dire «éberlué» par la puissance de cette pièce récente. «Je n’ai rien lu d’aussi bon depuis le début des années 2000», dit-il, catégorique. 

Difficile à décrire sans trop la réduire, cette pièce en trois parties montre d’abord une famille réunie pour Noël dans un apparent hédonisme, dans une tonalité qui évoque presque le théâtre de boulevard. Surgira l’oncle Bob, venu trouer le bonheur en répandant sa haine en mots sonnants et trébuchants. Les mêmes personnages réapparaissent dans une deuxième partie où leur parole est redistribuée selon un aménagement déréglé, fidèle à un théâtre de pensée proférée et de voix indistinctes que chérit Martin Crimp. S’y ajoutent des chansons (ici arrangées par Keith Kouna), dans une folle torsion des codes du cabaret et de la culture populaire. La dernière partie, «qui emprunte à la fois aux procédés de Pinter et de Ionesco», est carrément angoissante. Mais toujours, chez Martin Crimp, surgit un humour féroce et caustique, une ironie toute anglaise mais également très singulière, «à la fois sombre et joyeuse».

Pour y donner forme, le metteur en scène emprunte à une diversité d’esthétiques, notamment au cabaret mais aussi au cinéma, et même à la marionnette: ses acteurs manipuleront notamment dans un castelet électronique des figurines les représentant en petit format. «C’est Noël en Floride, ce show. C’est une vraie célébration.»

C’est néanmoins sérieux. Dans cette histoire de repas de Noël perverti se déploie un discours sur le bonheur impossible à atteindre par nos modes de vie consuméristes même s’il en est l’ultime objectif, mais aussi un regard critique sur des valeurs humanistes que nous affichons et derrière lesquelles se cache quelque chose de plus sombre, de plus tordu, ou même de destructeur. «La pièce parle de conformisme, de recherche du bonheur, mais aussi d’une tendance à se mettre en scène ou à se regarder vivre, et ce, pour toujours, jusqu’à la recherche d’une sorte d’immortalité dans l’éternel regard sur soi.»

L’impossibilité de concilier nos aspirations individuelles avec les élans collectifs est aussi au cœur de la réflexion de Crimp, à travers une écriture qui déploie une forme de thérapie collective, laquelle achoppe à force d’impossibilité d’une parole autre qu’individualiste. «Crimp évoque une disparition de l’idée de vivre-ensemble, donc de l’idée de République, comme le dit le titre, et donc de la disparition de la démocratie, du concept d’égalité entre les humains. Mais toujours de manière férocement drôle, à travers une ironie savoureuse.»

Paraît que tout ça, «c’est de la bombe».

Du 13 janvier au 7 février au Trident