Requiem(s) King Lear Hygiène sociale Désobéissance civile Charte des raisons communes Vodka pour tous : Le fond et la forme
Doué pour un théâtre d’images et de réflexion sociopolitique à partir de grands textes, mais moins inspiré lorsqu’il tente de développer un langage corporel et scénique par écriture collective, Hanna Abd El Nour offre avec Requiem(s) King Lear Hygiène sociale Désobéissance civile Charte des raisons communes Vodka pour tous une œuvre plus féconde sur la forme que sur le fond.
Depuis son marquant spectacle Imagination du monde, vu à Québec en 2011, je garde un œil sur le travail d’Hanna Abd El Nour et conserve un respect pour sa pugnacité à refuser la facilité et pour sa persistance à chercher de nouvelles formes. Or, cette posture de recherche ne se traduit pas toujours en réussites scéniques absolues et ce nouveau spectacle au titre à rallonge, Requiem(s) King Lear Hygiène sociale Désobéissance civile Charte des raisons communes Vodka pour tous, est à placer dans la catégorie du spectacle d’essai, de l’œuvre tâtonnante, de l’étape de travail. Si le travail scénographique et la mise en espace y sont prometteurs, propices à l’apparition d’images fortes, il en est autrement du propos général, qui obéit à une volonté trop ambitieuse de radiographier la totalité des maux du Québec et de l’Occident, au risque de se limiter aux lieux communs et de rester à la surface des choses.
Dans un Espace libre débarrassé de ses gradins, les spectateurs s’assoient sur des piles de journaux autour de la magnifique et très sobre scénographie sculpturale de l’architecte Mazen Chamseddine : un tunnel rectangulaire suspendu dans le vide, que les acteurs traverseront à répétition dans une errance toute contemporaine. Suspendus entre ciel et terre, comme propulsés dans un corridor hors du temps et de l’espace, ils pourront y partir à la recherche d’eux-mêmes, y trouver repos, refuge ou illumination, ou simplement se mettre en marche, poursuivre une quête personnelle ou une quête de l’autre. Cette structure dans laquelle on marche ou autour de laquelle on s’agite s’avère éloquente pour aborder les aléas du vivre-ensemble contemporain, offrant une métaphore d’un espace urbain qui n’est bien souvent que lieu de passage, où les uns et les autres se rencontrent et se cherchent sans toujours se trouver. Elle évoque l’individualisme, les chemins singuliers que chacun prend, mais aussi la communion des âmes dans une nécessité de faire son chemin, de trouver la bonne route, sinon de cheminer spirituellement. Éclairée par des lumières blanches qui mettent le bois en valeur et qui en soulignent les reliefs, la structure paraît émaner d’un environnement cottoneux, onirique, atmosphérique.
Pour le reste, Hanna Abd El Nour offre un théâtre de fragments qui tissent petit à petit une toile de regards sur notre monde, mais de regards trop souvent succincts, qui n’évitent pas les clichés.
Dans les meilleurs cas, le propos dénonciateur est transposé dans des situations dramatiques éloquentes et ludiques. La marchandisation du corps féminin, par exemple, est matérialisé dans une sorte de séance d’encan où la comédienne Sarah Chouinard-Poirier s’offre au plus généreux portefeuille. Le culte de la masculinité musclée devient séance de bras de fer entre l’acteur Jérémie Aubry et un spectateur. La tyrannie de la beauté et de la séduction trouve incarnation dans les pavoisements du comédien Julien Thibault, conscient de son charme devant une spectatrice qui le dévore des yeux.
Dans les pires cas, les constats de société sont livrés dans un jeu physique brutal et peu nuancé. L’hypersexualisation, par exemple, se matérialise dans les tortillements sensuels et peu subtils de la comédienne Eve Gadoua. On a aussi droit, trop souvent, à des textes sentencieux qui s’inquiètent d’un monde déshumanisé et apathique mais qui n’y réfléchissent que trop peu, comme des slogans dénués de chair.
Ceux qui connaissent bien King Lear auront reconnu certaines répliques de l’œuvre shakespearienne, ici et là. Elles servent surtout à imager une société vieillissante qui a besoin d’un changement de garde, à l’image du roi Lear qui quitte son trône. Mais là s’arrêtent les références à la tragédie élisabethaine.
