Brice Noeser / Ruminant Ruminant : Comédie musicale antigodardesque
Ça fait un bail qu’on l’a remarqué, celui qui a été mis en lumière par Harold Rhéaume dans Variations mécaniques, Je me souviens et Fluide. Après avoir dansé pour Lake, Caron, Wagerer et Ledoyen, Brice Noeser est mûr pour une création solo décalée.
Brice Noeser s’est tout permis. Il danse, met à profit sa grandeur presque télescopique, joue, chante et parle dans cette production presque bidisciplinaire d’abord présentée à Tangente (Montréal) en décembre dernier. Est-ce de la danse? Du théâtre? Quelle importance! «C’est un vieux débat et je pense que ces frontières-là, ces petites boîtes fermées tendent à disparaître», explique son interprète et complice, Karina Iraola. «Il y a beaucoup de créateurs, et depuis longtemps, qui mélangent tout.»
Le chorégraphe d’origine française est de ceux-là, et ses influences vont bien au-delà de la scène au sens large. Combien de gars de danse vous diront qu’ils s’inspirent de Philippe Katerine? «Ce qui m’intéresse dans son travail, c’est qu’il n’a pas peur de la laideur, il n’a pas peur de l’imperfection et, quelque part, il n’a pas peur de jouer avec la pertinence. C’est des choses avec lesquelles je me reconnais.»
Jean-Luc Godard – vous l’aurez deviné à la lecture du titre – a aussi joué un rôle important dans son processus créatif, son processus de «rumination», comme il se plaît à le dire. À l’instar du réalisateur d’À bout de souffle, Noeser structure son spectacle en une multitude de sketches. Mademoiselle Iraola détaille: «On voit ça dans ses films, des morceaux de scène, des collages de scène. Il travaille aussi beaucoup avec la citation et n’hésite pas à mélanger les genres. Comme dans Pierrot le fou, il passe de film policier à comédie musicale!»
Ne cherchez pas Erik Satie
Éclectique, la trame sonore du spectacle pensé par Brice Noeser tire dans tous les sens et pige un peu partout, y compris dans le répertoire de la chanson pop. «On retrouve surtout des compositions d’électro-acoustique ou de Philippe Glass en danse contemporaine, mais j’avais envie de voir ce que ça ferait si j’essayais d’autres styles, ce que ça amène comme idée. J’avais envie de sortir du conformisme, mais à titre très personnel. […] Quand j’étais jeune, j’écoutais beaucoup de bossa-nova, de jazz des années 1940 et des années 1920, j’aimais aussi beaucoup les comédies musicales. Comme Cabaret ou Singing in the Rain.» Un historique personnel dans lequel il puise pour Ruminant Ruminant.
D’ailleurs, d’où vient ce titre qui fait penser à une vache qui broute? «Ça peut aussi vouloir dire « réfléchir ». Ce titre-là traduit bien la superposition de sens de la pièce. Je dirais que, souvent, et presque tout le temps, il y a des juxtapositions de sens mais aussi d’actions.»
Et exit le mot «absurde», qui a déjà fait partie de son lexique, de ses textes inscrits au programme d’Émergences chorégraphiques où il avait présenté un solo en 2012 en collaboration avec La Rotonde. Un mot très à la mode, tant pour décrire De Bellefeuille et Pelgag par les temps qui courent, mais qui ne sert et ne sied à Noeser selon Iraola. «C’est un mot un peu galvaudé, je trouve. Ça devient réducteur parce que l’œuvre de Brice, au contraire, veut être ouverte. Et le sens déborde du cadre!» Du cadre mais aussi de la scène, puisque, semble-t-il, il n’y a pas de quatrième mur dans cette pièce. Ruminant Ruminant est une porte d’entrée vers le monde de la danse, une proposition accessible pour plaire à tous les âges. Une occasion d’initier les néophytes.
// Du 22 au 24 janvier à 20h
Salle Multi de Méduse
En double plateau avec Bienvenue Bazié et Jennifer Dallas (Toronto)