Et moi pourquoi j'ai pas une banane? : Au théâtre avec la femme assise
Scène

Et moi pourquoi j’ai pas une banane? : Au théâtre avec la femme assise

Mobile Home et la compagnie française Détournoyment se sont intéressés à l’univers excentrique de l’artiste multidisciplinaire argentin Copi afin d’en transposer les bandes dessinées au théâtre. Défi audacieux, pari gagné.

Un décor épuré, blanc vignette, des masques aux traits typés poussés à l’extrême modelés avec du papier mâché, quelques rappels de l’art même de la bande dessinée par projections ou dessin en direct. L’essentiel est bien là. L’adaptation du papier au tridimensionnel et à la scène est réussie. On ressent l’hommage à Copi, à son univers de bédéiste éclaté et à Charlie Hebdo, joliment et sobrement salué.

La production franco-québécoise a surtout retenu les histoires écrites dans les années 70 et 80 des BD La femme assise, Du côté des violés, Les vieilles putes et Et moi pourquoi j’ai pas une banane? pour constituer ce spectacle tragico-comique et subversif. Raúl Damonte Botana, dit Copi, s’est rapidement imposé comme dessinateur de talent, collaborant entre autres pour Hara-Kiri, Linus et Charlie Hebdo. Son premier amour étant toujours demeuré le théâtre, où il a écrit et joué, il semble naturel que des créateurs comme Steeve Dumais, Lucas Jolly, Nicolas Grard et Elionor Fueter aient eu envie de transposer les bandes dessinées de l’artiste célébré vers cet art.

Chaque histoire de Copi ne faisait rarement plus de quelques planches. Ce sont donc de courts épisodes qui défilent sur scène, avec comme fil conducteur le quotidien improbable de la femme assise, un personnage créé lors du passage de l’artiste au Nouvel Observateur de 1964 à 1974. Ponctuée de visites saugrenues d’humains, d’animaux et même d’un martien, d’accidents de parcours et de questionnements à la fois essentiels, loufoques et lourds, la vie de la femme est surréaliste.

L’ensemble peut apparaître aisément confus et décousu pour quiconque ne serait pas très familier avec la belle folie de Copi. Mais c’est précisément ce décalage entre le dessin simple et naïf et la portée des thèmes chers à l’auteur – amour, homosexualité, solitude, répression et liberté, toujours dans une perspective de critique sociale – qui créé la force chez Copi. Et cette force a indéniablement été travaillée et maîtrisée par l’équipe derrière cette idée ambitieuse. Le jeu des comédiens, typé, exagéré et plus grand que nature convient tout à fait à ce que Copi traçait grossièrement sur papier. Les thèmes, quant a eux, ont été maniés avec intelligence et sensibilité, à l’image de l’auteur qui savait les explorer en détournant et pervertissant la langue, en se moquant du monde qui l’entourait.

L’univers sonore se perd par moments entre une synchronicité malhabile entre la voix préenregistrée de Corinne Masiero (qui assure la voix de tous les personnages) et le jeu des comédiens, un détail qui saura sans doute se replacer au fil des représentations. Le jeu des silences, élément incontournable dans les bédés de Copi, est toutefois écorché dans la production scénique. Ces moments récurrents de pause dans les dialogues, difficilement attribuables à une faiblesse technique semblable ou à une maladresse de mise en scène, essouflent le rythme et affaiblissent la force des mots. La diversité des personnages et des propos font un peu oublier ce ralentissement d’action quelque peu agaçant.

Provocateur, absurde, caustique, bouffon, Copi et cette sélection choisie de bandes dessinées ont toutes les raisons de revivre sous une nouvelle forme. L’idée originale de Steeve Dumais et Lucas Jolly, aidés à la mise en scène par Nicolas Grard, réjouira les adeptes du style de Copi, de son humour grinçant et satirique. Pour les curieux, la lecture des oeuvres théâtrales, nouvelles, caricatures et bédés de Copi valent certainement le détour pour mieux comprendre l’essence de ce spectacle riche et concis.

Au Théâtre La Chapelle jusqu’au 24 janvier