Lisbeth Gruwez / AH/HA à l'Usine C : Le rire est une arme qui désarme
Scène

Lisbeth Gruwez / AH/HA à l’Usine C : Le rire est une arme qui désarme

Elle était jadis la muse de Jan Fabre. Elle fait aujourd’hui son chemin artistique personnel, tissant une œuvre chorégraphique branchée sur les corps extatiques. Lisbeth Gruwez débarque à l’Usine C avec AH/HA, exploration du rire comme espace de libération physique.

Son spectacle précédent, un solo, s’intitulait It’s Going to Get Worse and Worse and Worse, My Friend et explorait la transe qui happe le corps des orateurs. Cette fois, la Flamande Lisbeth Gruwez a réuni autour d’elle un groupe de quatre danseurs pour raconter le corps tressautant par un rire incontrôlable ou euphorique par hilarité partagée. 

«Je suis intéressée depuis toujours, dit-elle, par les corps extatiques. Je cherche donc dans les externalités physiques du rire une compréhension de l’état d’euphorie, d’extase ou de transe qui les caractérisent. Le fou rire transforme le corps, le tord et le libère de ses carcans, le désinhibe également.»

Le sujet est vaste. Pour le traiter en profondeur, la chorégraphe a renoué avec un travail de groupe qui a nourri ses débuts comme danseuse auprès du légendaire Jan Fabre mais aussi des autres grands noms de la danse et du théâtre flamands que sont Jan Lauwers et Sidi Larbi Cherkaoui. «Il fallait travailler cela en groupe, explique-t-elle, parce que le rire se répand comme un virus: il est contagieux et se déploie dans le collectif. Or il y a un paradoxe intéressant que nous avons découvert au fil du travail: malgré la puissance du rire quand il se déploie à travers un groupe, son intensité nous ramène toujours à nous-mêmes et exacerbe notre individualité. La chorégraphie montre puissamment, je pense, cette dualité entre l’individualité et le groupe, l’ego et l’unisson.»

Les peintures de Matthias Grünewald, peintre médiéval méconnu, leur ont notamment servi d’inspiration. Or, rien de jojo dans ces toiles religieuses représentant des personnages en pleine dévotion. «Mais on s’est aperçus que le rire nous amenait dans des zones similaires, dans des expressions similaires du visage, mais aussi dans les mêmes positions corporelles. Je n’irais pas jusqu’à dire que le rire nous permet de toucher au sacré, mais il nous permet assurément de toucher à une certaine forme d’abstraction, de plus grand que soi. Nous travaillons d’abord des mouvements de thorax, puis nous ralentissons ce mouvement à l’extrême – la lenteur accentue aussi cette impression de sacré. Mais je pense qu’elle met aussi en relief les inclinations vers l’autre, le désir de communion des corps les uns avec les autres, même si chacun est dans une hypersensibilité de soi et de son propre état d’euphorie.»

AH/HA montre bien sûr des corps sautillants, mais le corps rieur est porteur d’états variés. Invitant ses danseurs à plonger leur corps dans le rire sans toutefois utiliser leur voix, Lisbeth Gruwez invente une euphorie physique aux contours changeants. «Le rire coupé de sa portée sonore crée un effet intéressant: les corps semblent au bord de l’hilarité, mais aussi parfois proches de la douleur ou de l’extase. J’aime bien dire que le fou rire peut être une arme qui désarme. Le rire nous rend vulnérables, nous permet de nous montrer tels que nous sommes.»

Du 28 au 30 janvier à 20h à l’Usine C