Nicolas Berzi / Peep Show : Derrière la vitre
Montréal a perdu ses cabines de peep-show au profit d’un érotisme dématérialisé sur Internet. Le metteur en scène Nicolas Berzi s’interroge sur le phénomène en recourant aux parois vitrées des anciennes cabines dans l’intrigant spectacle Peep Show. Discussion.
Un peep-show, comme ceux que l’on croisait jadis rue Sainte-Catherine, est un petit théâtre en soi. C’est une évidence que Nicolas Berzi a voulu explorer sur une scène de théâtre, à défaut de pouvoir utiliser un vrai peep-show d’une époque révolue. «Dans un peep-show, il y a un spectateur, un performeur, un quatrième mur (la vitre), de la musique, de la danse, du monologue (car la danseuse parle à son client pour l’inciter à payer). Je me suis dit qu’il fallait interroger cet espace avec les moyens du théâtre.»
Désirant explorer ce que pouvait être le rapport entre le client et la danseuse dans le bon vieux peep-show, et la manière dont ce rapport est bousculé par la consommation de pornographie en ligne, Berzi a mis en scène une danseuse entre quatre vitres, qui performe et parle, s’offrant sans complexes à tous les regards. Mais il ne s’attarde pas tellement à la réalité de la danseuse qu’à celle de son client/spectateur.
«La question de la perversion, dit-il, m’intéresse beaucoup. Devant une performance qui est en fait une forme sublimée d’expérience de consommation érotique, le spectateur sera invité, j’espère, à réfléchir à son rapport avec cet érotisme, à le mettre en perspective. Si le numérique, la consommation des corps en ligne, meuble progressivement la représentation, je pense aussi que le spectacle est traversé d’un regard critique sur les rapports entre la scène contemporaine et les notions de nudité et d’érotisme. Il est devenu très à la mode de montrer les corps nus sur scène en les considérant strictement comme artistiques, dénués de connotation sexuelle, mais est-ce bien toujours le cas? Je ne propose pas de réponse à cette question, mais je propose aux spectateurs un parcours qui les mènera sans doute à se la poser.»
Doctorant de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, où il explore les concepts d’intermédialité et d’interdisciplinarité, Nicolas Berzi est un homme de son temps, pour qui le théâtre ne s’envisage plus autrement que dans un choc des corps et des technologies, mais aussi dans les emprunts à la performance et à différentes disciplines de la scène. Mais il s’oppose à un théâtre «cinématisé» dans lequel «le langage cinématographique remplace le langage théâtral». «Il faut, dit-il, que les nouveaux médias enrichissent l’expérience du live et viennent supporter ce qui est théâtral. La présence physique ou vocale demeure essentielle, à mon avis, pour qu’il y ait théâtralité.»
Le numérique, ou les effets de virtuel qu’il se plaît à faire intervenir dans son théâtre, le fait ici évoluer aux frontières d’une sensualité virtuelle et d’un théâtre dématérialisé dont les possibilités lui semblent grandes mais parfois dangereuses. «Plus qu’une réflexion sur le peep-show, dit-il, c’est une réflexion sur la dématérialisation de la consommation érotique. Et je pense qu’il y a des parallèles à faire entre cette dématérialisation de l’érotisme et celle qui caractérise de plus en plus la scène théâtrale, qui y gagne de la liberté mais y risque parfois une dénaturation.»
L’expérience, à tout le moins, risque de déplacer les habitudes des spectateurs.
Au Théâtre La Chapelle du 28 janvier au 7 février